COMORESplus : Monsieur Abdou elwahab Msa Bacar, vous êtes juriste, avocat au barreau de Moroni et Maitre de Conférences à l’Université des Comores, vous faites partie des experts choisis par le chef de l’Etat, colonel Azali pour lui élaborer des travaux pour les Assises. Qu’est-ce qui vous a motivés d’accepter cette offre ?

Abdou Elwahab Msa Bacar : Je n’ai pas été choisi par le président de la République. J’ai été recruté par le CPAN sur appel à candidature publié dans le journal Alwatwan n° 3325 en date du 15 décembre 2017.Par conséquent, c’était le CPAN mon employeur. Je pense encore aujourd’hui qu’il était un devoir pour tout citoyen comorien d’apporter sa contribution, en quelque niveau qu’il soit, pour ce conclave national, ce grand Rendez-vous de notre pays avec l’Histoire. Ma candidature était guidée par l’amour d’un patriote qui souhaitait apporter sa contribution, modeste surement, pour l’édification de l’Etat de droit, la pérennisation de la démocratie, la sauvegarde et la modernisation des institutions publiques au soutien d’un développement économique et social juste et durable. Voilà, en substance, ma motivation.

CP : Quelles ont été les modalités de recrutements et qu’est-ce qui caractérise un expert à la CPAN ?

AMB : Je ne peux pas savoir comment le CPAN avait procédé pour retenir les experts. Je sais seulement qu’on avait annoncé le recrutement des 15 experts pour appuyer le CPAN dans la conduite des travaux et que le dossier de candidature devait comprendre une lettre de motivation, une offre méthodologique et financière, un CV et une copie des diplômes. Personnellement, je n’ai pas fait d’offre financière, car l’argent ne constituait pas ma motivation. En tous cas, le groupe d’experts était constitué des gens hautement diplômés, expérimentés et reconnus dans leurs domaines respectifs au niveau national. Le dénigrement dont ils ont fait l’objet dans les réseaux sociaux n’avait aucunement entamé leur détermination et l’envie de servir la nation.

CP : Connaissant votre groupe d’experts composé en phénomène de symbiose, parmi lesquels certains responsables des malheurs des Comores et des comoriens. Que répondez-vous à l’interrogation des uns et des autres sur cette composition ?

AMB : Ma candidature au poste d’expert était individuelle. Du coup, je ne pouvais pas savoir préalablement avec qui j’allais travailler et, encore une fois, je ne sais pas comment le CPAN choisissait ses experts. Ce que je peux attester, c’est que j’ai vu des comoriens qui œuvraient jours et nuits pour leur pays. Certains avaient occupé des postes de responsabilités de l’Etat, d’autres non et je ne sais de qui vous parlez et qui est responsable des malheurs des comoriens.

CP : Quel axe a été confié à votre groupe d’experts ?

AMB : Nous étions  quatre experts recrutés initialement pour travailler sur l’axe 1 portant sur la gouvernance politique, la consolidation de la Nation et l’édification de l’Etat. Il s’agissait de MM. Nidhoim Asoumani (ancien procureur général), DR El Sadate Saïd Omar (ancien magistrat et Maitre de Conférences à l’UDC), DR Ahmed Bacar Ben Kassim (Doyen de la faculté de droit de l’UDC) et moi-même.

Les Colonels Normal et Hamza nous ont rejoints pour travailler sur la sécurité. DR Nourdine Bacha et Dr Abdoulhakim ont apporté leur expertise pour les questions religieuses. L’ancien président de l’île de Ngazidja et ancien magistrat, Mohamed Abdouloihabi, M. Said Ali Hamidou (juriste) et Dr Abdou Salami Mohamed (Maitre de Conférences à l’UDC) ont aussi rejoint le groupe pendant les ateliers. Le capitaine Fakri Mahamoud Mradabi a également apporté sa contribution pour les questions de terrorisme. En substance, on traitait des institutions publiques. De l’autonomie interne à nos jours. Il faut avouer que ce n’était pas une chose aisée vu le temps imparti et l’étendu du travail. On a fait ce qu’on a pu avec les moyens de bord. D’ailleurs, on n’a pas manqué de souligner que la complexité du problème et la diversité des situations nationales ne permettaient qu’une systématisation sommaire et forcement incomplète.

CP : Nombreux sont ceux qui disent que vous avez omis de parler de la période d’Azali 1. Si oui, pourquoi ?

AMB : On n’a rien omis que je sache ! On a eu à traiter deux grandes périodes : de l’autonomie interne à l’Accord-cadre de Fomboni du 17 février 2001 et de l’accord de Fomboni à nos jours. Il fallait parler sommairement des institutions publiques sous la colonisation, notamment pendant l’autonomie interne et étudier profondément les régimes successifs que le pays a connus, à commencer par le régime socialiste, le régime Abdallah, sous Djohar et Taki et la crise séparatiste avec ses  relents et conséquences, notamment au niveau politico-institutionnel. Si les comoriens penseraient que nous avions omis de traiter un quelconque pan de ces différents régimes, cela serait involontaire et aurait pour cause le manque de temps, mais en réalité nous nous étions appliqués à étudier tous les régimes sans exception aucune.

CP : Vous en tant qu’expert, pourriez-nous définir vos conditions de travail avec la CPAN ?

AMB : Le CPAN était notre employeur et nous travaillions dans des endroits différents. Les experts avaient leurs bureaux à Sahani Mdé. On ne rencontrait les membres du CPAN que quand on allait dans leurs locaux pour leur présenter le travail, donc deux fois, lors de la présentation du rapport préliminaire et lors de la présentation du rapport final après les ateliers.C’est notre patron, M. Abdallah Msa, qui était en relation permanente avec le CPAN. Les experts travaillaient sous les seules directives de M. Abdallah Msa.

CP : Comme une grande partie des comoriens cernent le chef de l’Etat et son pouvoir comme absolutistes. Cette qualification a affecté votre groupe d’experts ou vous aviez une indépendance ?

AMB : Nous avons travaillé en toute indépendance. On n’a eu aucune influence, aucune interférence de qui que ce soit. On n’a eu la visite de personne dans nos locaux. Si un membre du CPAN venait dans nos locaux, c’était pour aller voir M. Abdallah Msa dans son bureau. La seule personne avec qui nous étions liés et sous les directives desquelles nous travaillions c’était Abdallah Msa et celui-ci ne voyait le travail des experts que quand il était fini.

CP : D’abord, vous qui aviez élaboré le travail, en tout cas le diagnostic, étiez-vous tous conviés aux ateliers ? Si oui comment se sont déroulés ces ateliers, si non, pourquoi certains ont été écartés ?

AMB : Personne n’a été écarté des ateliers. Chaque axe a rédigé son rapport dans lequel on s’appliquait à faire un diagnostic du pays sur le plan institutionnel, économique, social, diplomatique et sur le contentieux territorial franco-comorien sur l’île de Mayotte. Nous avions procédé de la façon suivante. Les axes étaient subdivisés en comités et chaque comité était chargé des quelques thématiques. Chaque expert chargé d’animer un atelier s’était adjoint d’un assistant. Ensemble, ils animaient l’atelier dans leur comité en projetant par Power. Point le diagnostic que les comoriens participants des ateliers  devaient discuter, surajouter et y apporter des recommandations pour améliorer la situation du pays.

Toutes les recommandations contenues dans le document final ont été formulées par les comoriens qui avaient pris part aux ateliers. C’est l’œuvre des comoriens et non pas des experts. Ceux-ci n’ont fait que les recueillir et les réintégrer dans le document final. D’ailleurs, les participants avaient élu eux même un président et un rapporteur et à chaque fin de journée, ceux-ci exposaient le rapport  de synthèse des travaux en le projetant.

CP : Les langues ne cessent de se délier, les dires sont nombreux et divers pour des défrichages, quel a été le lien entre le groupe d’experts, le gouvernement et le CPAN ?

AMB : Les experts n’avaient aucun lien avec le gouvernement. Je n’ai jamais vu un membre du gouvernement dans les bureaux des experts de Sahani. Comme je l’ai dit, les experts étaient les employés du CPAN. Juridiquement, ils travaillaient pour le compte de celui-ci sur la base d’un contrat de travail. On avait signé deux contrats de travail d’une durée de 15 jours chacun et chaque contrat était rémunéré de la somme de six cent mille franccomoriens (1.200 euros).  En tant qu’expert, j’ai perçu, pour le travail que j’ai fourni pour les Assises Nationales des Comores, la somme d’un million deux cent mille franc comorien (2.400 euros). Pour ce qui nous ont qualifiés de vendus de la République, voilà le prix.

CP : Nombreux sont les comoriens, notamment des médias du troisième millénaire, les réseaux sociaux je veux dire, qui trouvent que les assises ont été biscornues. Peut-on dire que c’est un échec ou une réussite ?

AMB : N’en déplaise aux détracteurs et autres opposants de tous bords, les assises nationales des Comores ont connu un succès historiques. C’est une véritable réussite.  Les comoriens des quatre iles se sont déplacésmassivement et ont participé de façon assidue aux ateliers et à l’assemblée plénière. Ils ont parlé librement et avec le cœur. La qualité des débats était notoirement haute. Les comoriens ont fait un bilan critique et constructif de la gestion du pays pendant les 42 dernières années et ont par en conséquence proposé des solutions devant concourir au redressement du pays. Jamais le pays n’avait connu un tel engouement et une telle ferveur pour un tel évènement. La foule mobilisée à l’ouverture et à la fermeture des assises ne dément pas ce que je dis. Ce fut une rétrospective constructive pour des nouvelles perspectives constructives.

Reste à voir ce que le chef de l’Etat et son gouvernement vont faire des conclusions et autres recommandations formulées par les comoriens.

CP : Membre actif de la rédaction COMORESplus, et ces derniers temps, on vous voit en veilleuse, comment peut-on traduire ce congé ?

AMB : COMORESplus reste encore ma famille, j’apprécie beaucoup ce que mes amis accomplissent avec et je compte reprendre du service incessamment.

CP : Que pensez-vous de la mise à mort de la liberté d’expression par le régime en place, qui sème la terreur auprès de certains organes de presse et des hommes de média… qui ne sont pas pro-gouvernementaux ? 

AMB : je suis surpris et écœuré de voir les valeurs démocratiques malmenées, les libertés fondamentales bafouées et l’espace politique hermétiquement fermé. L’actuel ministre de l’intérieur ne rend service ni au chef de l’Etat, ni au régime, ni à la nation. Ses agissements anti démocratiques et liberticides constituent une régression et de surcroit occultent l’action du gouvernement tout en donnant de la voix à une opposition démobilisée, moribonde et inexistante. C’est vraiment dommage et c’est très condamnable. Je me demande quand est ce que le président va le rappeler à l’ordre.

CP : Abdou elwahab Msa Bacar Merci

AMB : Merci

Propos recueillis par SAID YASSINE Said Ahmed

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