L’information est rependue comme une trainée de poudre le matin. Saïd Abdallah est mort !

Mais au pays, personne ne sait pas encore de quel village il est. Il devrait avoir 25 ans en cette période des mangues. On sait peu de chose pour le moment car l’information nous vient de loin. On rapporte seulement aux informations télévisées que les corps de vingtaine de morts ont été retrouvés au large d’une autre île. A la télé, on montrait les images de ce qui devait être l’appareil, que Saïd Abdallah était abord. Un appareil affrété à une compagnie, Arabe pour desservir le pays. Mais ce jour là, l’appareil n’était pas dans son assiette, à dire vrai, cela fait longtemps qu’il accomplissait son devoir contre vents et marées. Plusieurs fois, il subissait les affronts et les indécis de ceux qui l’ont déjà pris. Son état de santé parait-il, était critique. Probablement à cause de son vieil âge car à en croire ses antagonistes, cela fait beaucoup d’années qu’il mène une vie de bâton de chaise en sillonnant le bleu du ciel, la mer et les océans. Mais, on sait peu de chose pour le moment car l’information nous vient de loin.

Saïd Abdallah n'est plus, il a coulé avant l'aube, avant de pouvoir atteindre la rive. Le froid, l’orage, la peur, l’ont probablement ingéré. Le lendemain, les images ont montré les agents de la garde civile, qui partaient faire le décompte des corps, avec l’espoir de retrouver quelques survivants. Mais dans la douleur suprême, l'écume est entrée dans l'enceinte de l'histoire en révélant dans chaque corps l'ultime odyssée du sacrifice et du voyage sans retour. C’est encore incertain. On parle de beaucoup de chose, d’une approche, d'une remise de gaz puis d'une approche nouvelle qui aurait été ratée. L’appareil a emprunté un chemin anormal vers la mer, tout a basculé dans le néant.

Saïd Abdallah a dû nager dans une mer houleuse au milieu des corps et des débris à plusieurs reprises, ingurgiter des litres d'eau, battre des pieds et des mains avant de couler au fond. Il s’est battu, il a lutté contre la mort avant de s’incurver dans le bleu profond des eaux. Il n’aura pas une pierre tombale en son nom parce que son corps est toujours relégué dans les eaux de l'oubli. Ses funérailles, son mausolée sont représentés par la prière de l’absent.

Saïd Abdallah n'est plus, il a coulé au large des côtes. Son ultime crime est d'avoir cru jeune à son idée de venir visiter son pays et sa famille. Certains l’ont déconseillé  de ne pas monter sur ce qu’ils appellent « avion poubelle », mais Saïd Abdallah n’imaginait pas le danger et surtout qu’on ne résiste pas à l'invasion des idées lorsqu'on a l'ambition dans le sang. Depuis qu’elle a appris la nouvelle, sa famille est anéantie, dévastée et n'en peut plus. Elle est battue à plate couture par un drame si intense et insupportable. Sa mère pleure tout le temps et s'épanche sur Halima, la petite sœur du défunt. Elle aussi est sous le choc. Elle a tout perdu et son élan de rêve au grand soleil du jour est volé en éclats. Car c’est sur les épaules de ce grand frère que reposait tout son espoir. C’est celui qui devrait prendre en charge de ses études mais surtout de sa maison et de son grand mariage une fois grandit. Sous l’écueil de pierre devant la maison, elle pense, elle pense à son frère unique comme elle pense à ses souvenirs, à ses rêves qu’elle réalisera jamais.

Saïd Abdallah est parti, il a coulé. Il pensait faire son temps en défiant l'usure du temps. Il s'est sacrifié pour tout le monde surtout pour sa mère et aussi pour Mdjana la fille de son oncle. Cet été, était prévue la célébration de leurs fiançailles. Saïd Abdallah a voulu assumer son destin, vivre le jour du grand retour au pays et réalisé une moitié de son rêve. Mais la mer a une écume qui ne décode pas le langage des rêves. Et ce jour là, les dieux du voyage n’ont pas voulu écouter ses prières. Car même devant l'échiquier de la chance, la mer a toujours des mailles de ténèbres qui emprisonnent pour la vie. Dans la télévision, on parle d’un avion spécial transportant des parents et proches des victimes qui se sont rendus dans les lieux pour faire le deuil. Dans les places publiques et les radios, on dénonce le comportement des dirigeants du pays qui ont fait la sourde oreille. Mais au fond, le plus important pour Saïd Abdalla est la prière de l’absent.

Le temps passe, passe et tout le monde attend voir jaillir un jour la vérité de ce drame. A force d'attendre, la mort est devenue dans la tête de chacun un pion qui joue avec le hasard partie d'échec.

 
Youssouf Mdahoma

 

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