GEDC0815.JPGLe débat actuel sur la privatisation de Comores Télécoms montre la pertinence d’un clivage idéologique entre les tenants du tout-État et certains s’inspirant du modèle néo-libéral visant à faire démettre l’État des secteurs, pourtant, stratégiques. Comores Télécom, une société prospère, mais en retard sur le plan technologique, devrait-elle être privatisée ? Est-ce que les préconisations de la Banque Mondiale sont fondées au regard de la situation et de la richesse de l’entreprise ? Accessoirement, où va l’argent versé par Comores Télécom à la trésorerie publique ?

Face à ce débat, en tant que citoyen, si le maintien de la société sous le contrôle de l’État est un impératif politique, il est également difficile d’imaginer la privatisation de cette société dans la mesure où elle n’est jamais déclarée déficitaire. Concomitamment, la question d’alliance stratégique se pose, afin de favoriser le développement de l’entreprise sans brader le patrimoine économique national. Face aux arguments des pro-privatisations, notamment de Monsieur Abou Oubeidi, conseiller du Président de l’Union, et des anti-privatisation, en l’occurrence les salariés, une position médiane est possible afin de renforcer le capital de l’entreprise, ainsi que son développement durable.

Pour mieux répondre au débat actuel, il semble important d’apporter une réponse aux arguments avancés par les uns et les autres.

  1. Comores Télécom comparée aux autres sociétés de la sous-région.

Il est vrai que nous sommes loin et très loin, malgré la connexion des Comores à la fibre optique. Les prix demeurent chers et le service est de faible qualité.

Le problème de Comores Télécom se trouve dans la défaillance de l'Etat qui a manqué le rendez-vous avec le numérique.

 

A un moment où les gouvernants étaient au courant de la connexion à la fibre optique, aucune étude n'a été faite pour moderniser les structures, viabiliser les financements et prioriser les actions à mener.

Pour mémoire, en 2008, j'avais soumis à Monsieur Abdourahim Said Bacar, alors ministre des télécommunications, en présence de son conseiller chargé des nouvelles technologies, un plan numérique 2010-2020 en trois actions :

 

- améliorer la compétitivité de la société nationale Comores Télécom, en transformant "l'innovation en croissance" (baisse des coûts, création des hotlines, accroître et diversifier les usages et les services numériques dans les entreprises, les administrations, et chez les particuliers....) ;

- baisse des tarifs et amélioration des structures et des infrastructures en vue de la performance, tout en s'engageant parallèlement à un plan de formation du personnel ;

- diversifier l'offre numérique, notamment le paiement des services, et développer à grande échelle l'économie numérique.

Le Ministre a salué le plan qu'il a pensé indispensable, mais aucune décision n'a été prise. Ses successeurs sont également restés muets sur cet investissement d’avenir.

  1. Le management

Le problème de Comores Télécom relève d'un problème de management. A un moment où les sociétés de télécoms ferment des bureaux pour réduire les coûts et ouvrir des hotlines, notre société, avec le soutien de l'Etat, ouvre des bureaux dans les villes et les villages. De plus, le népotisme, le clientélisme et le régionalisme imprègnent de haut en bas dans le recrutement du personnel. Ces pratiques ont abouti à la détérioration de la qualité de cette entreprise d’État, ainsi qu’à sa prochaine dislocation.

Cette pratique montre à la fois le manque de stratégie de développement de l'entreprise et l'incompétence des personnes nommées aux hautes fonctions. Un management tourné vers la performance et la rentabilité, pourrait sauver l'entreprise, puis la rendre performante et très rentable.

  1. L'attitude de nos gouvernants

Comores Télécom a toujours été une vache à lait pour l'État et ses dirigeants. L'État fait souvent appel à ses recettes pour payer les salaires, et certains de ses dirigeants s'enrichissent illicitement (affaire charikane, abiamri, affaire douane-comores télécom, surfacturation...).

Malgré ces comportements véreux, ils n'ont jamais été sanctionnés ni par le gouvernant (suspension administrative ou démis de leurs fonctions) ni par la justice (condamnation, et même mis en examen dans des affaires où les responsabilités sont fortement établies).L’impunité favorise la corruption et la propagation de la gangrène.

Il semble donc que le problème est structurel.

Quelles sont les solutions possibles et réalistes ?

1) Réformes de structures et changement d’équipe « managériale ».

 

A la lecture de ces faits, l'Etat doit engager d’abord de réformes de structures, de management pour valoriser l'entreprise afin que, si demain, il devrait procéder à la privatisation ou à l’ouverture du capital, que l'offre soit la plus intéressante et la plus alléchante possibles pour le pays. C’est pourquoi les préconisations de la Banque Mondiale ne constituent pas, à l’heure actuelle, une solution immédiate et profitable pour la nation comorienne. Les investissements coûteux méritent une réflexion approfondie sur la nature et l'orientation de l'entreprise.

2) Un contrat ambitieux de revitalisation de l’emploi.

Une nouvelle équipe de management et de gestionnaires, composée de professionnels compétents et patriotes, devrait être nommée afin de conduire les réformes qui s’imposent et établir le patrimoine de l’entreprise. Cette équipe serait amenée à prendre des décisions lourdes, notamment sur le plan des ressources humaines, secteur où il faut procéder à des réductions d’effectifs. Les réductions doivent se faire dans le cadre d’un contrat ambitieux de revitalisation de l’emploi(mettre en œuvre et financer des actions afin d’atténuer les effets du licenciement envisagé) et d’un plan de formation de gestion d’entreprise et d’environnement économique à destination du personnel susceptible d’être licenciés afin que ces derniers puissent acquérir des compétences pour ouvrir de petites sociétés sous-traitantes avec Comores Télécom, telles que des sociétés de hotlines, de techniciens de réseaux, de vendeurs agréés… Un plan de formation du personnel restant s’impose également afin que celui-ci soit en mesure de répondre avec efficience aux nouvelles missions de l’entreprise.

 

Le recrutement du nouveau personnel doit se faire dans la transparence et l’équité, par l’organisation d’un concours ou d’une offre d’emploi publiée sur le site Internet de la société, avec les fiches de poste détaillées et en en précisant les compétences demandées.

 

3) Des études techniques en trois volets

 

Si ces conditions préalables sont respectées, et après une évaluation indépendante du processus, une étude technique devrait se prononcer sur la manière de procéder à l’ouverture du capital. Cette étude serabasée sur des stimulations financières qui devraient in fine éclairer le choix d’une solution institutionnelle rationnelle, en trois volets : d’une part des études organisationnelles (structures, fonctions, effectifs, systèmes d’information) et d’autre part une appréciation de l’offre interne (réseau de distribution, évolution de l‘offre et de la demande..) et enfin une analyse historique de la situation financière et des engagements de l’entreprise.

Ainsi, une ouverture partielle progressive du capital à hauteur de 30%, par une alliance stratégique avec une société de télécommunication régionale ou de renommée internationale, serait possible dans les 3 prochaines années. Il faut une entreprise du secteur qui fait ses preuves afin d’éviter un nouveau Ashley.

4)  Une étude de marché de qualité

Le mécanisme de concurrence est le plus efficace, lorsqu’il est correctement mis en place, pour inciter les entreprises d’un secteur à améliorer leur qualité de service et à baisser leurs coûts de production. Les réseaux (transports, énergie, télécoms…) ne font pas exception à cette règle, mais peuvent nécessiter une approche particulière. Afin de réduire les coûts des télécommunications, améliorer la compétitivité de l’entreprise et augmenter les recettes publiques, une étude de marché intégrerait les trois principes suivants :

1/ L'étude de la demande l'interprétation des données historiques sur la structure de la clientèle pour projeter la demande, élasticité de la demande, écart entre contexte de l'offre actuelle et celui envisagé (anomalies d'exploitation : délestages, pertes non techniques…) ;

2/ Mesure de réhabilitation et de mise a niveau des infrastructures (pour évaluer les coûts d'implantation) ;

 

3/ Mesure d'amélioration de l'efficience : mettre en adéquation pratiques actuelle de gestion avec celle souhaitables…(comparer même secteur d'activité opérant dans des marches de taille comparables en Afrique).

En conséquence, il y a deux éléments qu'il faut garder en tête : élargissement du capital et compétitivité comme avantage d'une ouverture partielle du capital.

Je pense que l'État peut même négocier de racheter une grande partie des parts à un prix fixé à l'avance. Dans tout processus d’ouverture partielle du capital, faire en sorte que l’appel d’offre soit le plus transparent possible. Afin que cela ne devienne pas un processus d’enrichissement de certains gouvernants par l’intermédiaire de pots de vin. Car il semble que cela soit l’unique motivation de certains dirigeants.

L’ouverture du capital constituerait donc un moyen de pression exercé par le conseil d’administration pour stimuler le résultat, profit et dynamisme. Il faut donc de mon point de vue un équilibre entre présence de l’Etat et investisseurs prives du secteur.

Parallèlement, l’État comorien doit prendre ses propres responsabilités : traduire en justice tous les directeurs de Comores Télécom qui sont impliqués dans de diverses malversations, une mesure qui pourrait renouer la confiance entre les dirigeants et le peuple. S’abstenir de condamner les responsables de cette dégringolade d’une société d’avenir et laisser aux carreaux le personnel, le bas peuple, constituerait une mesure de profonde injustice et d’une iniquité lamentable.

 

Les conditions présentées pour la privatisation de l’entreprise sont très insuffisantes et le risque de voir brader l’entreprise au profit de quelques dignitaires devraient appeler le gouvernement à la Raison et au Patriotisme afin d’éviter de brader le patrimoine économique national.

Et si, au demeurant, le gouvernement comorien s’inspirait du modèle sénégalais de demander à la Banque Mondiale la nomination d’un juge étranger pour enquêter la fortune, le patrimoine et les biens mal acquis des directeurs des Comores Télécoms, de nos anciens et actuels dirigeants, afin d’être en cohérence avec le discours anti-corruption ?

 

Nakidine MATTOIR

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