COMORESplus S'EST ENTRETENU AVEC DINI NASSUR
14 juil. 2013
Dini Nassur a commencé la politique depuis son jeune âge. Il fait partie des jeunes révolutionnaires du temps du président Ali Soilih. Après des études de développement rural et de sciences sociales en France, il a travaillé dans le secteur agricole pendant plusieurs années. Il a occupé les fonctions de directeur de Centre de développement rural et d’animateur de projets de développement comme le Fonds d’Appuis au développement communautaire (FADC). Il a également exercé le métier de journaliste à la Gazette des Comores. Après des fonctions ministérielles,il est revenu en France où il a fait une formation d’Expert en ingénierie de développement local.
COMORESplus : Monsieur Dini Nassur, vous êtes un homme politique et en même temps militant associatif. Comment arrivez-vous à combiner ces deux activités ?
Dini Nassur : j’ai toujours évolué avec ces deux dynamiques. La vie associative, dans sa mission de défense des intérêts catégoriels, est une source d’inspiration et un terrain de pratique sociale. Cela permet d’enrichir les expériences et de vivre certaines solidarités agissantes. Le secteur associatif permet de concrétiser l’accompagnement aux initiatives locales. On y découvre les acteurs de base du changement et c’est vraiment l’opportunité de faire valoir son utilité sociale. On y apprend à maîtriser les facteurs consensuels nécessaires pour mener des actions collectives. . Le projet associatif se construit dans le consensus alors que le combat politique se réalise dans la contradiction de tout genre. Je crois que toute conscience politique qui se manifeste en prenant en compte les acquis et les difficultés de la société civile constitue les fondements d’un projet politique fiable.
CP : Vous avez été plusieurs fois ministre, au sein du gouvernement central mais aussi dans le gouvernement de l’île de Ngazidja. Quelles réalisations avez-vous laissé aux comoriens et aux wangazidja ?
DN : Parler des réalisations personnelles, cela relève de l’égo, un exercice qui ne me convient pas. Ce que peut faire un ministre s’inscrit dans une logique de l’action gouvernementale. On peut peut-être distinguer la réalisation d’un ministre en évaluant le bilan du gouvernement au sein duquel il a travaillé. Ce que je peux vous dire pour le moment, je ne suis pas du tout satisfait de ce que j’ai fait, étant entendu que j’aurais aimé pouvoir mieux faire. La première fois qu'on m'a confié des responsabilités ministérielles, c'était à l'époque de Djohar. J'avais en charge la Fonction Publique et au bout de quatre mois, je suis sorti du gouvernement pour avoir voulu réorganiser et réformer ce ministère qui est un véritable fourre-tout et un monstre budgétivore redoutable. J'ai fait partie des membre de l'équipe de l'Exécutif de Ngazidja avec Elbak et pour être franc, nous avons passé notre mandat à mettre en place les structures administratives et techniques car nous étions les pionniers de la nouvelle configuration constitutionnelle et institutionnelle issues des accords de Fomboni. Il n'est un secret pour personne que nous avons été confrontés aux problèmes de conflits de compétences avec le gouvernement de l'Union, ce qui nous a empêché de mettre en œuvre une bonne partie des programmes de développement que nous avons conçu , pour des raisons de moyens et de stabilité. Je laisse la population faire le bilan de notre action gouvernementale.
CP : Soilihiste convaincu, vous pensez qu’avec le temps, le soilihisme n’est pas révolu ?
DN : le projet soilihiste consistait à sortir le pays du sous-développement en plaçant l’intérêt de la nation au centre du débat politique et de l’action gouvernementale. La doctrine politique que vous appelez soilihisme est, en réalité, une stratégie de développement à mettre en œuvre par le peuple et pour le peuple. Sa particularité est en fait, l’approche de faire à ce que nous comptions sur nous-mêmes et de faire des apports extérieurs un appui à notre propre engagement à développer notre pays. Il s'agissait d'une vision optimiste du futur par des moyens et de volonté devant permettre cette vision de prendre corps sur le terrain dans une démarche de déstructuration/ restructuration de la société. C’est un projet qui se justifie aujourd’hui mieux qu’hier
CP : De Maesha Bora à Djawabu, quelle est la formation politique dont vous vous sentez proche aujourd’hui?
DN : j’ai été militant actif de ces deux formations et je peux vous confier qu’elles sont de la même obédience mais elles n’ont pas réussi à réaliser les trois missions historiques qu’elles étaient sensées accomplir : tout d’abord, rassembler les forces progressistes et révolutionnaires pour un même combat, ensuite, reconstruire le projet soilihiste et l’adapter au temps et enfin, être à l’avant-garde de la lutte pour le changement, les conquêtes de la justice sociale, la défense de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. J’ose croire que tout n’est pas perdu et maintenant que les nouvelles générations s’inscrivent dans la lignée d’Ali Soilih, ces trois misions feront le point de convergence pour mettre en ordre de bataille les acteurs politiques qui choisissent de se battre pour le pays et non pour leurs intérêts immédiats.
CP : Vous êtes également un homme de plume et bientôt vous allez publier une œuvre, on peut savoir de quoi parle ce livre ?
DN : c’est un roman intitulé « KOSA », inspiré de la révolution comorienne, qui raconte le parcours de Mwana-Huri. C’est une jeune fille issue de milieu ordinaire qui voit sa vie basculer dans un élan patriotique pour renverser une société rongée par la corruption et les inégalités. Je vous laisse le lire dès qu’il sera bientôt publié. J’ai fait en sorte de faciliter la lecture par un récit simple mais plein de rebondissements et un itinéraire de découverte d’une époque ignorée par les nouvelles générations.
CP : Quelles sont les contraintes que vous avez rencontrées pour la réalisation de cette œuvre ?
DN : parler du vécu et faire rêver par la fiction n’est pas chose facile. Beaucoup de mes amis attendaient que j’écrive un essai mais c’est exaltant de les voir apprécier le roman.
CP : Pensez-vous faire carrière en tant qu’écrivain en même temps que la politique, ou ce livre n’est qu’un passage ?
DN : j’aime écrire des poèmes, des chansons et maintenant je me découvre une passion pour le roman. Je ne fais pas de l’écriture une carrière mais un moyen d’expression.
CP : Des nombreux jeunes se lancent dans l’écriture ces derniers temps, que pensez-vous de ces initiatives ?
DN : c’est une brillante dynamique à encourager. J’entretiens des relations particulières avec ces jeunes talents et je me réjouis de leur engouement à l’écriture et de la portée de leurs messages. C’est une forme d’engagement pour le développement. La culture de l’écriture et son développement sont des facteurs de progrès pour un pays.
CP : il y a quelques jours, plus précisément le 6 juillet, les comoriens de tous bords ont célébré le 38 è anniversaire de l’indépendance des Comores, que dites-vous de cette date ?
DN : Incontestablement, c’est une date historique et unique pour notre pays. Cependant, si l’on doit être fier de l’indépendance, il n’empêche que nous vivons une double déchirure : gérer une décolonisation inachevée et une prise en charge mal assumée. Il faudrait que les forces vives du pays manifestent une véritable prise de conscience sur le devoir absolu de libérer l’île comorienne de Maoré et sur la volonté farouche de construire le pays dans la justice sociale. D’aucuns disent que tant que nous n’arrivons pas à développer le pays, qu’on laisse Maore vivre heureuse dans son malheur. C’est de la connerie d’une grossièreté sans nom issue de la lâcheté légendaire "Mhono mdru yatsodjo shinda ya uvundza mdru unuka ". Les dirigeants politiques qui affirment faire revenir Maoré dans son giron naturel par le développement de trois îles libres d’abord, sont des faux-culs qui masquent leur impuissance. Aucun pays au monde ne conditionne sa souveraineté par son niveau de développement. Nos détracteurs oublient que le développement se réalise dans la stabilité et tant que Maoré reste le bastion de la déstabilisation des îles sœurs, il sera difficile de mettre en œuvre des programmes de développement durables. Attention cela n’excuse pas la médiocrité et l'absence de vision des gouvernements successifs qui se contentent seulement de gérer leur survie au lieu de mener des politiques hardies pour bâtir l’avenir.
CP : Que préconiseriez-vous pour une solution du contentieux franco-comoriens sur l’île de Mayotte ?
DN : Je n’aime pas ce terme de contentieux franco-comorien comme s’il s’agissait d’un simple conflit d’intérêt commercial. Nous somme dans un cas d’occupation illégale d’une partie de notre territoire nationale par une puissance étrangère qui se plait à faire contourner la nature du problème par des gestes propres à la mendicité et à l’humiliation. C’est indigne d’un grand pays comme la France qui se veut gendarme des droits de l’homme et de la démocratie au niveau planétaire. Nous devons assumer l’antagonisme qui nous lie du fait que nous avons usé toutes les voies possibles de médiation sans pour autant pouvoir faire réagir la France. Toute solution passe forcement par la mobilisation du peuple pour faire de la libération de Maoré un enjeu majeur, en combattant avec conviction l’esprit de défaitisme qui règne au pays. Il faudrait impulser un sursaut national qui ne peut laisser l’indifférence pourrir la foi. Il nous appartient également de nous impliquer à tout prix à Maoré pour aider nos compatriotes à voir autre chose que l’assistanat colonial. Cela exige que nous nous battions pour prendre part au combat politique de l’île par la mise en place d’une Délégation de la République dans cette partie occupée. Nous devons avoir l’audace d’exiger l’ONU de nous soutenir pour mettre officiellement cette délégation à Maoré pour pouvoir casser la voie à sens unique colonial et proposer un choix véritable aux comoriens de Maoré. On nous dit souvent qu’il faut rétablir le dialogue avec nos compatriotes, ce qui est tout à fait naturel. Mais comment le faire si nous ne sommes pas sur le terrain ? Le gouvernement comorien doit croire à son droit international et faire de sa présence officielle à Maoré une légitimité à faire valoir. Il est à dénoncer vigoureusement le laisser-faire et l’immobilisme de notre diplomatie. Celle-ci à le devoir de faire connaitre la cause comorienne et à l’imposer dans toutes les instances internationales. On n’a pas du tout à chercher l’accord de la France pour sensibiliser l’opinion internationale. Être souverain c’est avant tout être capable de négocier les interdépendances.
CP : Ici en France, dans des nombreuses villes où se trouve la communauté comorienne, la fête a été célébrée avec faste. Que pensez-vous de cela en tant que comorien résident actuellement en France ?
DN : Je crois que les comoriens de l’extérieur comprennent facilement la nécessité de manifester et de revendiquer une appartenance patriotique. Il reste que l’engagement des wamanga soit reconnu par la nation par des actes significatifs comme l’octroi du droit de vote et du coup l’implication réelle dans la vie du pays. Cette mise à l’écart de la diaspora pendant des grandes échéances de notre pays, tend à révolter les acteurs engagés pour le pays. Des lourdes conséquences sont à craindre.
CP : Quel bilan faites-vous de 38 ans d’indépendance ?
DN : Nous avons fait beaucoup de choses, vu le contexte dans lequel la France nous a laissé. Je dis « nous a laissé » parce que au cas vous l’auriez ignoré, après l’admission de notre pays à l’ONU, la France a retiré toute son assistance technique et financière. Elle a même détruit, en partant, tous les centres névralgiques du pays. On a dû faire appel à nos amis du tiers monde pour tenir le choc. Nous avons construits toutes les infrastructures. Nous avons formés les cadres qui dirigent les services techniques et les entreprises. Nous sommes dans le concert des nations. Nous pouvons regretter que nous avons raté le coche dans certains domaines mais cela doit nous encourager à aller de l’avant. Le plus grand défi qui nous reste à relever c’est la modernisation de notre système productif, de notre gouvernance et surtout de notre système d’éducation pour qu’ils puissent répondre aux exigences du moment. Nous avons surtout à sortir de cette infernale configuration constitutionnelle imposée par les courants séparatistes et les lobbies qui les manipulaient. Nous nous trouvons dans un contexte antidémocratique qui tue les partis politiques et qui revitalise le népotisme
CP : Qu’est ce que vous avez retenu de la visite du chef de l’Etat en France et de son allocution le six juillet, notamment sur la question de Mayotte ?
DN : Le président s’inscrit parfaitement dans la démarche de ses prédécesseurs. On fait le pèlerinage à l’Elysée, on troque l’intégrité territoriale contre des minables programmes de financement, on rentre au pays pour dire qu’on a parlé de Mayotte et que le gouvernement ne lâche rien. Comment expliquer, qu’à part Ali Soilih, aucun président n’ose assumer le principe de libération nationale d’une partie de notre territoire ? On ne demande pas à ce qu’on réactive le FRELIMO ( Front pour la Libération de Mayotte) mais du moins qu’on ose se battre pour la mise en place de la Délégation à Maoré pour faire comprendre à l’opinion que nous sommes déterminés à trouver une solution ne serait-ce qu’à long terme. Le discours éloquent du président à Beit-Salam aurait beaucoup plus d’impact s’il était fait lors de son passage en France. Il devrait se servir de la presse pour alerter l’opinion française sur la question de l’occupation de Maoré. Je me demande d’ailleurs, si notre Ambassade à Paris n’est pas plutôt une boite de résonance de la diplomatie française. Pourquoi notre Ambassade n’a même organisé une conférence de presse pour offrir l’opportunité au président de dire ce qu’on ne lui a pas permis à l’Elysée ?
CP : Comment jugez-vous l’action du gouvernement sortant ?
DN : Il manque cruellement une visibilité de l’action gouvernementale. Dans ce cas là, il est compliqué de comprendre un bilan objectif. Les quelques actions ponctuelles et les déclarations intention ne suffisent pas pour juger de la dynamique d’un gouvernement. On dirait que le président se satisfait du manque de révolte et croit que tout va bien. Il peut changer de gouvernement chaque fois qu'il veut mais s'il ne se fixe pas un cap pour le pays, ce sera du folklore.
CP : Et que pensez-vous de la lutte contre la corruption et la démission du ministre des transports M. Rastami Mouhindine ?
DN : Je pense que ce n’est que la partie visible de l’iceberg et que le système mafieux mis en place par Sambi continue à plonger le pays dans la corruption.
CP : Qu’est ce que vous faites exactement dans les associations en France ?
DN : Je cherche à comprendre comment faire en sorte que le secteur associatif, qui est un atout incontestable et incontournable, change de stratégie d’intervention pour une nouvelle dynamique tournée vers le développement.
CP : Que pensez-vous de la diaspora comorienne en France, surtout la nouvelle génération ?
DN : Les nouvelles générations ne se reconnaissent pas du tout dans les approches d’assistanat pratiquées jusque là. Le repli sur son village, le placement du anda au centre de l’intérêt général et les luttes stériles entre les associations ne sont pas des valeurs comprises par les nouvelles générations. . L’on se rend compte qu’une frange assez importante de la jeunesse d’origine comorienne glisse dangereusement dans la délinquance et on est entrain de chercher à comprendre les raisons et parmi lesquelles la responsabilité des familles et des organisations communautaires. Mais on doit souligner que beaucoup des jeunes d’origine comorienne réussissent admirablement à se faire distinguer dans les études, la musique, le sport, la politique et l’insertion économique.
CP : Une grande figure de la scène politique nationale et grand combattant pour l’indépendance du pays, Mohamed Ali Mbalia, est décédé, le connaissiez-vous ?
DN : C’était un leader politique et un humanitaire qui a fait preuve de continuité dans son combat. Il n'a jamais abandonné ses convictions et quand on voit tous ces hommes-moutons qui changent de pelure pour quatre sous, Mbalia est une référence de dévouement et de dignité. Je me suis souvent entretenu avec lui-même si nous avions de divergence de vue surtout en ce qui concerne le modèle de développement économique à pérenniser au pays. On partageait beaucoup de choses sur le plan politique et sur la poésie. Mbalia est pour moi un grand Mdrehuri( libérateur) qui a marqué l’histoire récente de notre pays.
CP : Le chef de l'Etat vient de nommer un nouveau gouvernement, que pensez-vous de cette nouvelle équipe gouvernementale?
DN : je crois que la question qui se pose n'est pas une question d'hommes à garder, à changer ou à faire entrer au gouvernement. Les vrais enjeux résident dans la capacité à définir un programme de développement à la mesure des problèmes auxquels le pays est confronté. Mais-là nous restons sur notre faim.
Propos recueillis par
Abdou Elwahab Msa Bacar et SAID YASSINE Said Ahmed
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