Crise de l’école ou école de la crise ?
25 juil. 2013 Il y a deux ans environ, j’ai publié sur les colonnes d’Albalad, un article portant sur la crise de l’école aux Comores. Au travers de la réflexion que j’ai portée sur ce sujet inépuisable, quelques constats sont encore d’actualité et peuvent dans un certain langage justifier les fâcheuses conséquences que connait le système scolaire. De la démission des parents à l’implication incertaine de l’université et à la mutation brusque du personnel enseignant en passant par la question de l’école privée, le système éducatif comorien continu à s’enfoncer dans les méandres d’une institution en perpétuelles crises. Les faits sont là : d’une baisse vertigineuse du niveau scolaire, on aboutit inéluctablement à des faibles résultats aux examens nationaux tous les ans. Dans la litanie des facteurs générateurs de la crise de l’école aux Comores, décrits explicitement par les spécialistes de touts bords, une question essentielle vient renverser la situation. C’est celle de l’inefficacité du mouvement syndical enseignant. Ainsi, les enseignants ont été, pendant plus d’une décennie, la cible de tous les mots et coupables de tous les maux qui gangrènent l’école comorienne à cause des grèves répétitives et sans aucun scrupule, provoquant des années parfois blanches, parfois tronquées.
Pourquoi de si mauvais résultats et pourtant…
En effet, faisant un bilan lapidaire de l’année scolaire écoulée, on se rend compte qu’il n’y pas de fossé entre une année sans grève et une autre entrecoupée de revendications syndicales (salariales). Cette année, les enseignants n’ont pas connu de gels de salaires, ils ont d’ailleurs bénéficié de plusieurs possibilités de découvert bancaire et se rendaient régulièrement à leur lieu de travail. Pourquoi de si mauvais résultats au 6ème/CEPE, BEPC et BAC ? La réponse est tout à fait simple et mérite encore une fois d’être prise en compte par les acteurs de l’école. Il ne s’agit absolument pas de réformer le système éducatif. On sait très bien que depuis l’indépendance une dizaines de réformes ont été opérées au niveau de l’éducation et n’ont pas fait long feu. Il ne s’agit pas non plus des Etats généraux de l’éducation ou du recyclage des enseignants. Il s’agit plutôt d’accepter le fait que l’école comorienne est un lieu de production de crises infinies, où toutes les expériences politiques et politistes se réalisent. Considérée comme le dernier souci du gouvernement, sabotée par les responsables des structures administratives de l’éducation, larguée par les parents et les élèves, boudée par les enseignants, l’expression de crise de l’école se transforme en « école de la crise » dont les conséquences continuent à démolir la « maison éducation.» Ecole de la crise par le fait qu’il est un lieu propice pour expérimenter des guerres fratricides.
Les causes sont multiples.
Ainsi, le ministre de l’éducation et les directeurs des services scolaires doivent provenir du corps enseignant afin de pouvoir alimenter des dissensions politiques et hiérarchiques. Ecole de la crise, c’est le premier lieu favorable pour des recrutements partisans, gonflant la fonction publique, inadéquats à la fonction enseignante afin de préparer des éventuelles échéances électorales. Ecole de la crise car il faudra, pour les chefs d’établissement, sous la complicité des commissariats de tutelle, se faire fortune sur le dos des élèves par leurs frais d’inscription, par les budgets alloués aux écoles par les différents projets tels que PASEC, UNICEF, UNAFP... Ecole de la crise car il faudra décourager les esprits créatifs et citoyens qui veulent redonner à l’école son projet de reproduction sociale. Ceux-là dérangent. Ecole de la crise du moment où la morale citoyenne, la connaissance du milieu historique, naturel et humain n’est pas de mise dans les programmes scolaires. L’enseignement du patrimoine social national n’ayant pas le vent en poupe, on s’achemine à former des citoyens malades, sans code moral. On peut dans ce cas imaginer avec Ivan Illitch, une « société sans école. » Ecole de la crise car c’est un véritable laboratoire d’expérimentation des chantages et des abus de pouvoir.
Chacun veut tirer profit du système.
Les relations entre les acteurs de l’école s’effritent du sommet à la base et chacun veut tirer profit du système. Quand un ministre gère et signe les affectations des enseignants pour un intérêt partisan, quand un commissaire se trouve à l’origine de la fuite des sujets d’un examen national, quand des écoles privées ne répondant pas aux critères d’agrémentation achètent le précieux sésame auprès d’un ministre, quand un chef d’établissement arrange un emploi du temps d’un professeur et passe sous-silence ses absences chroniques pour un intérêt personnel, quand un enseignant entretient des relations extrascolaires avec son élève et dépasse le cadre déontologique… cela s’appelle tout simplement une « école de la crise ». Et pour reprendre le titre d’un confrère : « silence, on copine. » Mettez n’importe qui vous voulez pour diriger l’éducation nationale, les symptômes seront les mêmes. Qu’il soit pharmacien, philosophe, historien, ce sera peine perdue. Face à tout cela, il n’y a qu’une seule et unique alternative : soit « éduquer ou périr » comme l’a si bien dit le professeur J. Ki-Zerbo, soit se taire, se défaire et rêver.
Issa ABDOUSSALAMI,
Sociologue