C’est une analyse très profonde et critique du système éducatif comorien. L’auteur, un ancien professeur de la place qui vit actuellement à Paris et qui a séjourné ces derniers temps au pays. Il a été pétrifié par la situation qu’il a découverte au sein de notre système d’enseignement.

A l’occasion de son discours du jour de l’Aid El Adha, le chef de l’Etat Ikililou Dhoinine a interpellé les encadreurs pédagogiques du pays pour qu’ils prennent « les mesures qui s’imposent et à jouer le rôle qui est le leur ». Cette interpellation est légitime et urgente, compte tenu de la situation qui prévaut dans notre système éducatif en général et dans l’enseignement primaire  et secondaire en particulier. Mais cette interpellation vient à juste titre secouer la canette qui renferme notre système pour en sortir les éléments qui le constituent afin d’effectuer le tri entre les bons, les mauvais, les vérités et les mensonges, les idées fortes et les vieilles options qui prennent en otage notre enseignement public… Le Président réclame un encadrement pédagogique, c'est-à-dire une prise en charge effective de l’enseignement comorien par ceux et celles qui sont désignés et payés pour le faire. L’encadrement pédagogique commence par la conception, la réalisation, le réajustement et l’évaluation. Face à cette situation qui reste un parcours et un souhait, jaillit un questionnement en rapport avec la situation de l’encadrement pédagogique dans ce pays.

Sur un plan institutionnel

L’institution de base de l’encadrement pédagogique est la CIPR (Circonscription d’Inspection Pédagogique Régionale), crée par le décret n°93-044/PR du 10 mars 1993, lui-même précédé par un arrêté n°92-11/MEN/IGEN. Elle est administrée par un inspecteur régional,  à la tête d’une équipe de conseillers pédagogiques.

Sous quelle tutelle évolue la CIPR ?

Théoriquement, la réponse est facile car on peut lire des documents et évoquer la Coordination des CIPRs (existe-t-elle ?) et/ ou l’Inspection Générale (où est-elle, que fait-elle, qui la porte ?). C’est dans la pratique que la réponse devient difficile à livrer.

En effet, les CIPRs doivent remonter les informations (statistiques, rapports d’inspection, état de situation à la rentrée, au milieu de l’année et à la fin de celle-ci…) au niveau de la Coordination de chaque île qui se chargera de les faire parvenir à l’IGEN. L’interprétation qui sera donnée à ces documents fera le tableau de bord des actions à mener, telle que la formation des enseignants et des conseils d’écoles, l’orientation de l’encadrement pédagogique, les projets d’école, les travaux de réaménagement quand c’est nécessaire etc… Ceci n’est malheureusement pas le cas. Un vrai souci institutionnel se pose au-delà du cadre fonctionnel. En effet, le commissariat à l’éducation fait des CIPRs son domaine exclusif, avec une inspection générale s’il vous plait et le MEN dispose de son inspection générale qui n’a plus de terrain. Cette situation est facilement observable et observée à Ngazidja. Mais cette inspection générale qui siège au Ministère est-elle régie par des textes ? Ces textes sont-ils en phase avec la configuration institutionnelle et politique du pays (cf la constitution de 2001) ? Si l’institution est légale et soutenue par des textes, pourquoi  est-elle handicapée ?

Pourquoi  elle continue à perdre de sa vigueur ? Les inspecteurs (je devrais mettre des guillemets à certains) qui y travaillent ont-ils le profil requis ? Mais combien sont-ils pour pouvoir se targuer de mener la politique nationale en matière d’éducation ? Combien s’occupent de l’enseignement primaire, combien sont disciplinaires (ceux du secondaire) et combien sont du professionnel ? Ces questions ne sont pas exhaustives, elles ne le peuvent pas, tellement les handicaps sont multiples et les mensonges s’empilent. C’est un début de questionnement sur cet aspect mais nous y reviendrons pour poser des questions plus simples à comprendre sur le passé des deux hommes et demi qui pensent être dans le bon droit de s’emparer de cette noble institution pour camoufler les problèmes et permettre à l’échec  scolaire de se construire des boulevards dans le système éducatif national. Nous y reviendrons avec des souvenirs bien lucides puisque nous avons servi ce système et nous connaissons ces hommes pour les avoir fréquentés.

Sur le plan organisationnel

Nous l’avons abordé plus haut, l’approche organisationnelle à l’éducation aux Comores est un scenario que les comoriens appelleraient avec le sourire « Sinema ya Massera ».

Lorsque le pays s’est doté de l’actuelle constitution, nous avons compris qu’il s’agit d’une large autonomie des îles dans l’Union. L’Union c’est ce qui nous unit, n’est ce pas ? Parmi les points importants de notre union c’est l’éducation. On ne peut tolérer le fait que dans un pays il y ait mille façons d’éduquer, mille systèmes, milles pratiques et mille visions éducatives. Nous pensons que ces fameuses rencontres entre le Ministère de l’Education et ce qui devaient être ses commissariats devaient résoudre le problème des incohérences et du Msadjadja (sauf erreur de notre part, on nous a parlé d’une grande messe annuelle entre le MEN et les commissariats). On est pourtant loin de là.

Pour illustrer notre propos, il suffit de passer à hauteur du Commissariat de l’éducation à Ngazidja pour voir ces fameux 4X4 magistralement imprimées du générique « Inspection Pédagogique » pour comprendre la profondeur de la farce dont nous en sommes tous les victimes. Ces 4X4 ne vont jamais dans les écoles, les CIPRs ne connaissent pas la couleur de leurs sièges et encore moins le nombre de places assises.

Secundo, tous les petits chefs de ce commissariat reçoivent chaque mois un nombre de tickets d’essence avoisinant les 150 litres d’essence pour l’honneur du poste. Cela se passe alors qu’au même moment les encadreurs pédagogiques n’en reçoivent rien et ne peuvent assurer un minimum de tournées dans leurs écoles et collèges. Les sièges des CIPRs sont dépourvus des moyens les plus basiques pour assurer une administration qui plus est, est chargée de former, d’encadrer, de collecter des informations, de publier des consignes de travail et de tenir des réunions avec les conseils d’écoles. Il n’y a ni électricité, ni téléphone, ni moyen de reprographie… On vous dira qu’il y a des ordinateurs (un pour chaque CIPR et encore !!!!). Quelqu’un s’est contenté au ministère de me répondre, l’air satisfait que les CIPRs ont effectivement reçu des ordinateurs. Mais sans electricité, sans connexion internet, sans moyen d’imprimer, à quoi servent ces boites métalliques ?

Le travail d’encadrement et d’inspection ne se fait pas puisque cela n’est plus une norme. Un inspecteur peut traverser l’année scolaire sans jamais réaliser et communiquer un seul rapport pédagogique dans sa hiérarchie. Et on criera au scandale. Mais tenez vous bien, à qui adresser ce rapport ? Qui le lira et quel prolongement et signification lui donnera t-on ? Les inspecteurs des CIPRs sont ainsi placés dans des institutions non budgétisées, non suivies, non contrôlées et dont le travail n’attire la curiosité et l’intérêt de qui que ce soit, sauf si l’initiative vient d’un partenaire extérieur et vous verrez sortir de leur grottes des personnes frappées de toute sorte de titre pour envahir les écoles, imaginez pour quel intérêt. Voila ce que certains enseignants et cadres nous disent. Vous ne verrez nulle part un texte administratif qui programme des rencontres entre les différents acteurs pour évaluer des processus, imaginer de nouveaux scenarios, réinventer la chaine de décisions, lire et analyser les données du système, créer des projets et des idées de progrès…

Quelques jours avant notre départ des Comores, nous avons fait la rencontre d’un ancien ami avec lequel nous faisions les nuits pénibles de Paris. Il est rentré aux Comores et j’ai appris par lui-même qu’il est inspecteur pédagogique. Son diplôme est délivré par une école de Paris qui ne forme jamais d’inspecteurs, comoriens soient-ils. Oui, je ne vous trompe pas. Pire ! Il est pressenti pour être nommé inspecteur général. Vous chercherez les raisons de telles virés, vous n’en trouverez pas. Il est simplement de la région du Ministre. N’allons pas plus loin pour la santé de nos cerveaux.

Sur le plan fonctionnel

Vous avez certainement entendu parler au moins une fois de ce titre moderne et prisé du nom de: « Faisant Fonction ». C’est la mode à l’éducation. On enlève certains enseignants qui répondent à des critères très sélectifs mais qui ne répondent à aucune compétence pédagogique pour les nommer FF s’il vous plaît. Ils sont nombreux, très nombreux, trop nombreux. Ils habitent ces tristes bureaux des CIPRs et fuient les classes. Partout, ils font le plein. Ils ne reçoivent pas d’indemnité de la part de l’Etat pour cette surcharge supposée de travail, mais ils en reçoivent autrement. Psychologiquement peut-être, on ne sait jamais.

Ces « encadreurs » malgré eux ne peuvent encadrer les nouveaux enseignants du fait que ces derniers sont tout,  sauf perfectibles. On en recrute de toute sorte dans les QG politiques et notre noble métier de Foundi est désormais appelé sans complexe « Mba Ufundi ». Les inspecteurs des CIPRs ne sont pas consultés dans la phase de recrutement et dans le positionnement de ces derniers au niveau des écoles. Ils ne reçoivent aucune consigne pour les initier, les former au métier et se contentent de les recevoir et leur remettre le fameux « Certificat de prise de service ». Pour une première dans le pays, des communautés refusent clairement de recevoir certains de ces enseignants et nous savons pourquoi. Mais comme fonctionne une pièce de monnaie, cette pratique arrange les politiciens qui trouvent le moyen de caser leurs serviteurs. L’autre facette de la même pièce est que les syndicats enseignants grossissent leurs rangs et se constituent une force quantitative considérable contre ce même état qui se tue sans aucun souci. Pour ne pas conclure, cette vraie description de notre système n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Le Président de la République a secoué la fourmilière et en sortiront de gros diables qui nous feront tous peur.

Notre système est gravement malade et ceux qui le savent se taisent et se cachent derrière leurs anciennes lunettes. Ils font la pluie et le beau temps pendant qu’ils n’enregistrent qu’échecs et abandons scolaire par nos enfants, seule arme et seule richesse de ces petites îles. Si le Président de la République souhaite que le système éducatif se réveille et sois moderne et performante tel que nous le souhaitons tous, il doit avoir le courage de commander une étude sur les forces et les faiblesses dans les trois domaines que nous venons de présenter ici. Ce serait la première fois qu’un président de ce pays dirigerait le phare de Beit Salam vers ce qui se trame dans les bureaux de notre ministère de l’éducation. Il est vrai que des Etats Généraux sont organisés à l’appel des députés de 1994, des plans directeurs conçus, des Assises tenues et des retraites ont eu lieu dans les meilleurs hôtels de la capitale. Des centaines de salles de classes sont construites, équipées et attirent l’attention des passants mais ce qui se passe à l’intérieur est plus que triste.  Il ne faut pourtant  pas être très intelligent pour conclure au chaos, à l’anarchie, à la vieillesse d’esprit de ceux qui gèrent le système, notamment ceux qui gouvernent l’inspection « IMMOBILE », au manque d’engagement des responsables, à l’anarchie et aux répétitions des erreurs.

En traversant ce système du CP à l’Université on s’aperçoit de la chienlit qui règne dans ce ministère. Après plus de vingt ans à l’extérieur, on revient au pays et on se rend compte que notre système qui était l’un des plus performants dans l’océan indien, est devenu la risée de tout le monde. Mais on retrouve les mêmes personnes aux plus hauts postes avec leur rythme de travail lassant, les mêmes arguments, les mêmes caprices, les mêmes détournements de conscience et le besoin de toujours parler sans attendre de réaction de l’autre. Voilà ce qui est notre enseignement aujourd’hui. Ceux qui savent, qui se forment à longueur d’années, qui ont accumulé quelques bonnes expériences et qui présentent une motivation certaine sont dans des tiroirs fermés à clé. Nous en avons rencontré certains qui  brillent par la force, la légitimité et le caractère moderne de leurs idées. Ces personnes que nous avons rencontrées sont relativement jeunes et n’apprécient pas ce qui se fait. Elles donnent à pleurer quand on les écoute. Ils sont coincés parce qu’ils ont des idées, de la motivation et le besoin de s’émanciper. Elles sont les oubliés du système, les cibles des attaques et manigances de ces vieilles marmites qui n’arrêtent pas encore de vouloir toujours cuire les sauces les plus modernes. Pourtant ce ne sont pas les casseroles de dernière marque qui nous manquent !!!!!

Pour y remédier, regardons nous droit dans les yeux et disons nous la vérité sur ce que sont les uns et les autres. Posons les problèmes et voyons qui est capable de présenter le meilleur des chemins de la réussite. Regardons nous et ciblons les meilleurs pour les mettre aux meilleurs postes, nous en sortirons tous gagnants. Si, au contraire nous voulons nous contenter de faux calculs, d’expériences malheureuses, de prise d’otage et d’échecs à consommer à tout prix et sans modérations, contentons-nous de laisser les mauvais aux bons endroits mais  acceptons de porter la responsabilité des échecs qu’ils engendrent au fil du temps. Nous en serons tous victimes et comptables. Si quelqu’un acceptait de porter ce message au Président de la République et à son jeune ministre de l’éducation, il aurait apporté un grain de ciment au service de la reconstruction tant souhaitée de notre éducation.

Ahmed Bacar

Région parisienne

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