5d4a1e57L’incarcération d’un avocat pour avoir critiqué une décision d’un magistrat illustre parfaitement les maux qui rongent notre système judiciaire. Cela suscite, pour le citoyen lambda, des interrogations quant à l’équité des décisions rendues par une telle justice. Cette justice serait d’autant plus malade que l’ex-président Monsieur Abdallah Mohamed Sambi avait carrément proposé comme remède le recrutement des juges étrangers. Avec une telle proposition venant du premier magistrat du pays, tout est dit. Pas besoin de surajouter au risque de s’attirer les foudres de certains magistrats susceptibles et allergiques à la critique constructive. D’ailleurs l’objet de cet écrit est tout autre. Il porte sur la centralisation excessive de notre service public de la justice et sa mauvaise qualité.

Il est à noter, par ailleurs, que la justice est un service public au même titre que la santé publique, l’éducation nationale, le transport ou l’énergie. C’est une organisation réglée et assurée par l’Etat et donc financée par l’argent du contribuable comorien. L’organisation et le fonctionnement de ce service public sont commandés par les principes d’égalité, de continuité et de gratuité. Mais la réalité est toute autre. Le service public de la justice laisse à désirer et le traitement réservé à l’usager comorien est indigne. Il n’est pas certain que les citoyens comoriens bénéficient du même droit d’accès à la justice. Les moins connus et les moins fortunés se gardent bien de saisir une justice qui coûte cher et qui, de sur croît, les snobent. Les frais d’avocats et autres émoluments dus aux auxiliaires de justice sont exorbitants. A part dans les affaires pénales où un avocat peut être commis d’office, notre système légal ne prévoit aucun mécanisme juridique afin venir en aide aux plaignants les plus démunis. Ce qui dissuade ceux-ci de porter leurs affaires devant une juridiction.

Le gouvernement devrait réfléchir à l‘institution d’un système d’aide juridictionnelle afin de favoriser l’accès à la justice des citoyens les plus démunis. Par ailleurs, la forte concentration du service public de la justice à Moroni, Mutsamoudou et Fomboni nuit sérieusement au bon fonctionnement du service. Les tribunaux de ces villes sont assiégés chaque matin par des usagers qui viennent des quatre coins du pays. Ces citoyens abandonnent leurs activités quotidiennes, le plus souvent pendant plusieurs jours, et engagent des frais de transport avec des routes en état calamiteux, pour se rendre dans les capitales juste pour des simples actes, comme l’annulation d’un extrait d’acte de naissance ou la demande d’un casier judiciaire. C’est un parcours de combattant que de se faire délivrer un acte quelconque au tribunal de Moroni. Les gens s’agglutinent autour des bureaux et dans les couloirs du palais et sont à la merci des agents de la justice. Il n’y a aucun affichage des prix des actes, comme il y n’a aucun endroit pour accueillir le public. Le traitement de l’usager de la justice n’est pas digne d’ une institution qui est censée incarner l’esprit de transparence, d’égalité et de justice. Personne ne peut vous dire le délai d’attente pour se faire délivrer un acte. Certaines personnes, parce qu’elles sont connues, peuvent l’avoir immédiatement et d’autres, non connues, doivent attendre des semaines s’elles ont eu la chance de pouvoir effectuer un dépôt. Parce que tout est concentré dans les capitales, les délais pour avoir une décision de justice sont extrêmement longs. Ce qui ne favorise pas la paix sociale et le climat des affaires économiques.

Le gouvernement devrait initier rapidement une véritable décentralisation de la justice en instituant des tribunaux dans les préfectures et dans les régions afin de porter remède à ce problème. Il n’est pas normal qu’un citoyen qui réside dans le sud de Ngazidja, dans le nord ou ailleurs dans les autres régions du pays, soit obligé d’aller au tribunal de Moroni pour accomplir de simples actes administratifs ou saisir un juge pour des affaires de vol de cabris ou des mangues. Une véritable décentralisation territoriale s’accompagne nécessairement d’une réelle déconcentration des services publics de l’Etat. Des efforts doivent être accomplis pour assurer ce que l’on appelle communément « une justice de proximité », gage d’une véritable démocratie politique. La justice comorienne qui, somme toute, est incarnée et personnalisée par cette forteresse infranchissable pour beaucoup de nos concitoyens qu’est le tribunal de Moroni, se doit de se rapprocher de ses justiciables partout où ils se trouvent sur le territoire national.

Les gouverneurs devraient intégrer cet aspect dans le processus de décentralisation territoriale dont ils sont les garants.

ABDOU ELWAHAB MSA BACAR

COMORESplus 

 

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