75699 4265525309958 537462371 n[1]Salim Hatubou est écrivain et conteur franco-comorien né à Hahaya (Grande-Comores) et  grandi à Marseille, ville où il réside toujours. Auteur engagé et prolifique, il a publié une quarantaine d’œuvres dont des Romans et Contes, Romans jeunesse, Albums pour enfants,  Poésies et essais. Son œuvre est récompensée par plusieurs prix et distinctions dont le Prix Diamant en Belgique pour «Comores-Zanzibar », le Prix Insulaire Découverte à Ouessant pour Ali de Zanzibar,  le Prix Kalam de bronze décerné par le Ministère de la Culture aux Comores et le Prix des lecteurs à Mayotte pour Hamouro.

COMORESplus : Vous êtes l’un des écrivains les plus en vue aux Comores. Comment devient-on écrivain quand on a grandi dans les quartiers Nord de Marseille ?

Salim Hatubou : Mon histoire personnelle a beaucoup contribué à ce que je suis devenu : ma mère a grandi à Zanzibar. Quand il y a eu la Révolution Okello dans les années 60 avec la stigmatisation et la persécution des Comoriens, elle a fait partie de ces hommes et femmes qui ont préféré rentrer aux Comores, refusant de renier son identité comorienne. Elle a ramené des centaines de livres. J'ai donc vécu au milieu des livres et cette maman nous allaitait avec les mots. Elle disait que le livre est une fenêtre ouverte sur le monde. Riama, ma mère, qui était anglophone aimait la magie des mots et elle m'a transmis cet amour. Seulement plus je lisais, plus je me rendais compte qu'on ne parlait pas des Comores. Alors, j'ai voulu donner à lire et à entendre mon archipel et ma Culture. Quand, enfant, j'ai débarqué dans les quartiers Nord de Marseille, j'avais déjà cette passion pour la lecture et l'écriture. C’était ma bouée !

CP : Vous êtes un écrivain prolifique et êtes l’auteur de plusieurs romans, essais, pièces de théâtre, mais l’on remarque que vous avez une prédilection pour les contes, pourquoi ?

S.H : Je viens de parler du rôle fondamental qu'a joué ma mère pour la lecture et l'écriture. Sa mère était une conteuse talentueuse. Pendant les vacances, j'allais rendre visite à cette grand-mère maternelle à Milépvani, son petit village. J'assistais à ses veillées. Elle était formidable, elle avait ce don de conter des heures durant et à emporter les uns et les autres dans son monde. Je m’endormais contre elle en écoutant sa voix me bercer à travers Chifchif, Mna Madi, les Dimku… D’ailleurs, mon premier livre sorti il y a vingt ans s’intitule tout naturellement « Contes de ma grand-mère ». Vous voyez, ces deux femmes m’ont forgé : ma mère m'a transmis l'amour pour l'écrit et ma grand-mère celui de l'oralité.

 CP : On sait que la littérature comorienne d’expression française est assez récente. A quel niveau votre œuvre a-t-elle contribué à la vulgarisation de celle-ci ?

S.H : Une des meilleures façons de faire perdurer une littérature, de lui donner une consistance,  est d'avoir une littérature jeunesse, car on dit souvent qu'un enfant qui lit est un adulte qui lira. Je suis aussi auteur jeunesse et c'est une autre manière de "vulgariser" notre littérature. Il faut que nos enfants découvrent notre Culture, notre Histoire, nos richesses... à travers la littérature.

CP : Ces derniers temps, de nombreux jeunes comoriens affichent un amour pour l’écriture, quel conseil pourriez-vous leur donner en tant qu’écrivain chevronné ?

S.H : Les mêmes conseils que je donne dans les ateliers d'écriture que j'anime : travaillez, travaillez et travaillez. Une phrase, un paragraphe se travaille encore et encore. On n'écrit pas un livre d'un premier, d'un deuxième ou d'un troisième jet. Il ne faut pas hésiter à mettre à la poubelle un texte qu'on juge mauvais et le recommencer. Privilégiez la beauté et la profondeur du texte. Tenez compte des conseils qu'on vous donne et soyez exigeants avec vous mêmes. Et surtout, après avoir publié un livre, ne vous prenez pas pour le centre du monde ! Soyez humble !

CP : Vous avez animé des ateliers d’écriture et participez à plusieurs activités culturelles aux Comores, comment jugez-vous le rapport de la communauté comorienne et la culture en général ?

S.H : Que cela soit aux Comores ou en France ou dans d’autres pays, ceux qui participent à mes ateliers ou les activités que je mène, manifestent un grand intérêt à l’écriture, à l’oralité… à la Culture de façon générale. Et si Dieu me prête vie, je continuerai à aller vers les autres pour ces partages. Ma grand-mère disait «Si tu as un conte et moi un conte, nous avons chacun un conte. Si moi je te raconte mon conte et que toi tu me racontes ton conte, nous avons trois histoires ». La troisième histoire est celle de la rencontre. Voilà pourquoi c’est important de partager. Toujours donner sans rien attendre en retour, sinon on risque d’être déçu. Et je suis toujours heureux de voir que les Comoriens, en tout cas ceux que je rencontre, ont un profond désir de partager notre Culture.

CP : Dites nous comment la littérature peut-elle contribuer au développement d’un pays comme les Comores ?

S.H : A cette question, je répondrai surtout par une seule phrase « Un peuple qui lit est un peuple qui avance » et un peuple qui n’avance pas, qui n’est pas ouvert au monde, comment peut-il se développer ? Au-delà de l’enrichissement de l’esprit, la Culture –et j’intègre la littérature dedans bien entendu- génère de la richesse financière et contribue incontestablement au développement économique d’un pays. Oui, la Culture est un facteur apte à créer des milliers d’emplois et peut aussi être une réelle industrie, mais il faut que les autorités comprennent bien cela et qu’elles impulsent une dynamique qui va dans ce sens.

CP : Comment jugez-vous l’action des autorités publiques pour la culture aux Comores et quel rapport l’écrivain que vous êtes, entretient avec celles-ci ?

S.H : On nous parle d’unité nationale, mais nom de dieu, la base qui cimente nos quatre îles est la Culture. Elle me parait, à mes yeux, l’arme efficace pour lutter contre les séparatismes de tous bords et nous permettra de faire de notre archipel une Nation dans chaque esprit et non une espèce de patchwork insulaire. Toutes les Constitutions et tous les sommets du monde ne suffiront pas pour asseoir véritablement notre unité nationale. Tant que nous ne mettrons pas notre Culture, cet héritage commun, au cœur de l’éducation de nos enfants, nous continuerons à bricoler. Voilà pourquoi je regrette aujourd’hui qu’il n’y ait pas une véritable politique culturelle avec des réelles ambitions nationales, voire internationales. Nous avons une Culture très riche, nous avons des artistes formidables, nous avons une population, plus particulièrement la jeunesse, prédisposée à porter encore loin cette Culture… il nous faut impulser une dynamique, disais-je tout à l’heure, et cela doit être porté sur le plan politique. Ces derniers temps, des choses formidables naissent comme le festival du Cinéma, le festival de l’Art contemporain, un terrain a donné aux artistes pour construire un Centre Culturel, en septembre prochain des escales littéraires avec des écrivains de tous horizons… Tout cela initié par des Comoriens de la société civile mais soutenu par notre Ministère de l’Education Nationale et de la Culture, ainsi que d’autres institutions comme le SCAC. La numérisation de nos archives au CNDRS, notre Mémoire donc, est amorcée et cela grâce à Yakina Djailani à qui je rends un très grand hommage et lui témoigne mon soutien. Donc, les choses commencent à bouger dans le bon sens. Quant à mon rapport avec les autorités en tant qu’écrivain, je m’exprime, je pointe les choses… Nous y arriverons, j’en suis sûr. 

CP : Que dites-vous du fait qu’il y a peu ou presque pas d’auteurs nationaux dans le programme scolaire des Comores.

S.H : Là encore c’est un réel problème. Et cela doit découler, justement, de cette politique culturelle et éducative qui doit être pensée et mise en place. Nous devons nous approprier notre propre Histoire. Comment voulez-vous que nos enfants sachent où ils vont s’ils ne savent pas d’où ils viennent ? Ce n’est pas seulement les auteurs nationaux qu’on doit mettre dans les programmes scolaires, mais toute l’Histoire de notre pays. Nous devons repartir à la reconquête de notre Histoire, que quand on demande par exemple à un enfant «Bwantamu c’est qui ? Cela veut dire quoi ntibe ? », qu’il ne te réponde pas « Bwantam est un gâteau et ntibe de la viande bouillie !» mais qu’il sache que c’est aussi un guerrier comorien et que ntibe est un titre au temps des sultans, l’équivalent de gouverneur aujourd’hui. Il faut absolument qu’on développe la littérature jeunesse dans notre littérature comorienne d’expression française pour que les écoles primaires et les collèges aient accès à notre littérature.

CP : Selon vous, qu’est ce qu’il faut faire pour promouvoir la littérature aux Comores ?

S.H : Nous devons installer la lecture au cœur des écoles primaires, familiariser nos enfants avec le livre et ce dès qu’ils sont tout petits. D’abord donner goût à la lecture de façon générale. Nous devons mettre en place des projets autour de la lecture, de l’écriture, de l’oralité… Oui l’oralité parce qu’on a tendance à oublier la littérature orale qui est le fondement même de toute littérature parce que les hommes parlent et racontent avant d’écrire et de lire. Je regrette profondément que notre pays soit démuni de véritables infrastructures culturelles notamment de vraies bibliothèques puisque nous parlons de littérature.

CP : Dans le cadre de Marseille capitale européenne de la Culture 2013, vous allez présenter la voix du guerrier comorien Kara’, une pièce de théâtre coécrit avec M. Damir Ben Ali. Racontez-nous de quoi il s’agit, comment ça s’est passé la collaboration avec M. Damir et comment vous appréhendez cette présentation ?

S.H : Il s’agit d’un projet que je porte depuis 2007 et qui a abouti à un texte que j’ai co-signé avec Damir Ben Ali, un homme formidable à qui les Comores doivent beaucoup et que je considère comme mon père spirituel. Ce texte raconte comment un guerrier appelé Kari Wa Djae ou Kara, suite à l’assassinat de sa sœur, va quitter Msafumu qui refuse de rendre justice pour aider Said Ali à devenir sultan ntibe de Ngazidja et comment il va s’opposer à ce même Said Ali quand celui-ci signe le Traité de Protectorat avec la France. Mais attention, attention mille fois, il s’agit d’une histoire et non de l’Histoire. A partir d’un fait historique, nous avons écrit une fiction. Ce texte est mis en scène par Julie Kretzschmar avec comme acteurs François Moïse Bamba (dans le rôle de Kara), Soumette Ahmed (dans le rôle de Msafumu et de Said Ali) et Marion Bottolier qui incarne la princesse Anziza, avec des chants de deba par des jeunes filles à grande majorité mahoraise. Bien que l’histoire ne parle que de l’épisode Msafumu-Said Ali, elle évoque aussi le destin de notre archipel. Ce texte sera joué les 13 et 14 juin dans le cadre de Marseille capitale de la culture 2013 et il est porté par une équipe internationale, par exemple François Moïse Bamba est un acteur-conteur qui nous vient de Burkina Faso. Cela me réjouit parce que les Comores représentent un carrefour de cultures et nous avons souvent tendance à oublier de ramener notre Boutre Komoro vers nos origines africaines, là où tout a commencé.

CP : Vous êtes un auteur engagé et vous avez, par exemple, abordé l’épineuse question de Mayotte dans l’un de vos livres, Hamouro. Ne craignez-vous pas une sorte d’ostracisme dans certains milieux culturels, notamment français, comme l’écrivain Soeuf Elbadaoui ?

S.H : Hamouro n’évoque pas uniquement la question de Mayotte mais celle de la balkanisation générale de notre archipel. Ce roman a eu le Prix des Lecteurs de Mayotte et cela me fait un grand plaisir. Je regrette seulement que quand ce livre est sorti, la presse comorienne et des journalistes de la diaspora de l’époque l’ont passé sous silence. Je ne sais pas pourquoi, tiens, alors que les Kwasa-Kwasa, dont j’en parle d’ailleurs, existaient toujours et que les gens continuaient à mourir. Qui avait fait écho de ce roman à l’époque ? Personne. Quant à la crainte de l’ostracisme, voilà vingt ans que je publie des livres et j’ai abordé plusieurs sujets de société, du mariage forcé au séparatisme, en passant par la discrimination à l’embauche en France, les filles-mères, les enfants des rues à Moroni… et ce sans aucune concession ni compromis ni autocensure. Cependant,  je refuse d’avoir un sujet obsessionnel et j’ai toujours assumé mes livres, de la première ligne à la dernière. Je n’en fais pas, pour autant, ni un étendard du chevalier blanc contre les injustices comme si j’étais le seul à le faire, ni un linceul de victimisation personnelle. J’écris. J’écrie. Je crie. Je travaille beaucoup sur la question de la Mémoire parce qu’un pays qui n’entretient pas sa Mémoire est un pays perdu, cela est aussi valable pour les hommes. Pour ceux qui l’oublient souvent, comme dit Ali soilihi, notre Mongozi regretté, «l’Histoire est seule Juge ! ». Il ne sert donc à rien aujourd’hui d’indexer tel ou tel sur ce qu’il fait ou ne fait pas.

CP : En tant qu’enfant de la diaspora, quel regard portez-vous sur la communauté comorienne en France, notamment la nouvelle génération ?

S.H : J’aimerais, en tant qu’acteur de cette communauté, être optimiste, vous dire que tout va pour le mieux mais je suis mitigé. Il y a une vingtaine d’années, avec des amis comme l’artiste Soly Mohamed Mbaé, Ibrahim M’ze ou Ben Amir Saadi, des hommes incontournables de la communauté comorienne à Marseille, nous tirions déjà la sonnette d’alarme. Nous disions que nos repères, notre identité, nos valeurs qui sont le ciment de notre être et ce même en exil, foutaient le camp. Nous appelions au recentrage de notre communauté, sans pour autant nous ghettoïser. On nous répondait alors « il n’y a pas de problème dans la communauté ! Tout va pour le mieux ! ». Et aujourd’hui terrible est la chute. Il faut qu’on s’assoit, qu’on se regarde dans les yeux et qu’on se dise « il y a un problème !» -quelle communauté n’en a pas d’ailleurs ?- et arrêter de penser que nous sommes imperméables des maux de la société dans laquelle grandissent nos enfants. Guéant nous a stigmatisés, nous avons manifesté, nous avons exigé des excuses. Et après, qu’avons-nous fait ? La révolte épidermique n’est pas la solution, il faut un travail en profondeur, sur le terrain. Toutefois, dans la communauté beaucoup de choses formidables se font : la nouvelle génération bouge dans tous les sens, dans le bon sens j’entends, que ça soit dans la culture, en politique, dans l’économie… On n’en parle pas assez et c’est dommage. Un jeune des cités abattu pour des histoires louches, qu’il soit comorien ou non, ça fait plus sensation pour les médias qu’une centaine de ces jeunes qui réalisent des choses extraordinaires au même moment. Quitte à me contredire, je dirais que je suis optimiste pour notre communauté, pour notre diaspora.

CP : Que recommanderiez-vous pour une meilleure insertion des enfants de la diaspora ?

S.H : L’école, rien que l’école ! Les études sont un outil extraordinaire pour une meilleure insertion. Les parents ne doivent pas ni démissionner ni baisser les bras. Un message à certains pères qui abdiquent : soyez présents pour vos enfants qui ont besoin de vous pour réussir. Les mamans sont formidables mais elles ne peuvent pas tout faire. Nous devons tous prendre nos responsabilités. Mais surtout, surtout, pour mieux s’ancrer en France ou ailleurs, nos enfants doivent savoir d’où ils viennent, en être fiers car la honte des origines est l’origine de la Honte. Ils ne doivent pas attendre qu’on leur ouvre les portes, ils doivent les ouvrir, même à coup d’épaules. Ils doivent marcher sans baisser la tête et je cite un grand artiste comorien, mon ami Salim Ali Amir : «Mwana m’komori tsodo dji fahari ! Dji reme yifuba wambé yiho wa puha ! ». Etre profondément comorien n’empêche nullement d’être pleinement Français. 

CP : Le mot de la fin ?

S.H : Je fais un rêve qu’un jour nos enfants de Mayotte, nos enfants de Mohéli, nos enfants d’Anjouan, nos enfants de la Grande-Comores, nos enfants de la diaspora se donneront la main, non pas pour faire une ronde et tourner en rond, mais pour avancer et faire briller notre archipel des îles de la lune. Pour cela, nos enfants doivent circuler d’une île à une autre, qu’il y ait des séjours et des échanges, qu’ils se connaissent. Et nous aurons étouffé ce séparatisme insulaire qui nous empêche de vivre sereinement. Je ne serai peut être pas vivant pour voir cela mais je sais que ça arrivera un jour et je pourrai dormir. Enfin.

CP : Merci M. Hatubou

S.M : Merci à COMORESplus pour ce que vous faites, vous restez à l’ombre pour nous permettre de regarder le monde sous la lumière. C’est très salutaire. Merci encore.

Propos recueillis par :

ABDOU ELWAHAB MSA BACAR et SAID YASSINE Said Ahmed

COMORESplus

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