Mayotte, quand les médis s’y mettent aussi ?
07 août 2013En fidèle spectateur de M6, je m’installe comme chaque dimanche soir devant ma télévision, en deuxième partie de soirée pour regarder une rediffusion d’ « Enquête exclusive ». Au menu, les interventions de la police française à Mayotte. Avec pleins d’espoirs, je me suis dit qu’enfin une chaine française va aborder cette épineuse question de manière objective. Ceci, parce que j’avais en tête le fait que M6 est la chaine qui a osé poser les questions qui fâchent à Brice Hortefeux sur les agissements de la police dans les banlieues. C’est aussi cette même chaine qui a osé aborder objectivement le conflit israélo-palestinien en donnant la parole aux Gazaouis. Tout cela était-il possible seulement parce que la journaliste Melissa Theuriau voulait affirmer ses liens avec cette minorité à qui on ne donne pas souvent la parole ?
Espoirs attentés
Mes espoirs vont vite voler en éclat, quand au coup d’envoi de l’émission, pour situer Mayotte, la chaîne montre un avion qui part de Paris qui survole l’Europe, puis l’Afrique et atterri à Mayotte, l’île la plus au sud de l’archipel des Comores, sans survoler les trois autres, contrairement aux animations habituellement utilisées par les chaînes de télévision dans ce genre de reportages. La chaine a soigneusement effacé les trois îles de la carte et les a remplacées par l’océan. On me dira que ce n’est qu’un petit détail, mais cette image qui n’est pas anodine pose les jalons d’une prise de position radicale des auteurs du reportage qui décident donc d’aller plus loin dans la séparation des quatre îles, par rapport au discours habituel. Par cette image, la chaîne a cherché à dissimuler au spectateur non avisé la proximité entre Mayotte et les autres îles, et casser ainsi leur appartenance au même ensemble géographique, en plus de leur séparation politique. D’ailleurs plus loin, le reportage confirmera ce constat lors de la présentation d’Anjouan, en affirmant qu’elle est « l’une de trois îles de l’archipel des Comores ». La subtilité est importante car par cette déclaration, M6 fait sauter une digue supplémentaire. En plus de la réécriture l’histoire de l’archipel, on s’attaque maintenant à la réécriture de sa géographie. Pourtant jusqu’ici, malgré les positions des uns et des autres sur le conflit Mahorais, l’unité géographique de l’archipel des Comores composé de quatre îles fait toujours consensus. S’agit-il d’une simple ignorance de M6 ou d’une volonté manifeste de faire bouger un peu le curseur du désaccord ?
Des comoriens étrangers chez eux
Le reportage continue avec les images habituelles. Toujours d’un coté les pauvres Comoriens chassés de chez eux par la misère et qui viennent chercher une vie meilleurs chez les riches Mahorais. Ces Comoriens pauvres et ignorants, qui n’ont aucune conscience du danger lié à la traversée et qui verraient leur vie changer une fois à Mayotte. Toujours ces nombreuses femmes enceintes qui viennent accoucher dans ce que l’on présente comme la plus grande maternité d’Europe pour que leur progéniture puisse bénéficier du sésame qui leur garantirait à coup sûre une vie meilleure, à en croire une des sages femmes métropolitaines expatriées à Mayotte, qui soigne et juge en même temps. Mais de quelle vie meilleure s’agit-‐il? Sans doute pas de celle des milliers de gamins livrés à eux-‐mêmes errant dans les rues et qui squattent les bidonvilles en état de désolation. Pas non plus celle de ces petits enfants à qui on a volé l’enfance au mépris des droits de l’homme que l’on brandit à tout bout-de-champ pour donner des leçons aux autres. Enfin, ce n’est sûrement pas la vie de ces enfants sans espoir ni avenir qu’on a séparé de leurs parents au nom d’un visa qui viole les résolutions des nations-‐unies. Justement, les résolutions de ces mêmes nations-unies ne sont-‐elle pas celles que l’on fait respecter aux autres ? Ces mêmes résolutions ne sont pas celles sur lesquelles on s’appuie pour résoudre les conflits internationaux et empêcher des génocides ? Ces gamins des rues, loin d’être bêtes, n’ont pas manqué de dénoncer la perversité d’une logique au nom de laquelle on bafoue leurs droits les plus élémentaires. L’un d’eux âgé de 11 ans s’adresse directement aux policiers chasseurs d’hommes et déclare : « Si on vous avait arraché vos mères et éloigné de vos parents, auriez-vous pu faire des études pour devenir policiers et exercer votre métier aujourd’hui ? ».
De l’autre coté, des Mahorais qui se sentent envahis par des clandestins avec qui ils n’ont aucun lien, qui de surcroît leur voleraient leurs biens. A coté d’eux des Métropolitains qui, les cœurs serrés parfois, exécutent sans recul ni discernement, des décisions dictées depuis Paris au nom d’une politique du chiffre, motivée par des calculs électoralistes. Bref, rien de nouveau par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir.
La géographie, un témoin indéniable
Le repartage nous amène ensuite de l’autre coté de la barrière à Anjouan. Là je me suis dit que peut être qu’on va donner un peu la parole à la partie comorienne. On nous présente hélas une île d’Anjouan sans aucune route goudronnée, dont la population est dépourvue de tout et avec comme seul loisir un jeu de dames joué avec des cailloux à même le sol. Pas de commentaire, car les images on peu leur faire dire ce qu’on veut, comme nous l’a démontré si intelligemment Yann Barthes dans le petit journal de canal+. Fidèle à lui-même, M6 s’obstine à prouver chiffres à l’appui l’éloignement géographique de Mayotte aux Iles sœurs. Elle affirme que « la distance entre Anjouan et Mayotte est très grande car elle est de 70 km ». A titre de comparaison, la ville d’Etampes dans l’Essonne est située à 50km de Paris, tandis que Malesherbes, terminus de RER B, se trouve à 80 Kilomètres de Paris. Objectivement, il serait donc possible de faire plusieurs allers-‐retours entre les deux îles dans la même journée. Il serait même plus rapide de rallier Anjouan et Mayotte en RER que faire Paris-Malsherbes.
Enfin, l’émission a soigneusement occulté plusieurs questions essentielles. Quand tout le monde sait que le drame qui se joue entre Anjouan et Mayotte est apparu après l’instauration du visa Balladur en 1994, quand on sait que les enfants abandonnés à Mayotte est un phénomène récent, un journaliste digne de ce nom ne peut pas s’exonérer de se poser la question de l’origine de cette situation. D’ailleurs un adolescent séparé de ses parents, présenté dans le reportage comme un caïd interrogé au commissariat raconte : « Ici à Mayotte les policiers ils arrêtent, ils arrêtent. Il ne cherchent pas à comprendre d’où vient le problème ». Visiblement, M6 est comme les policiers de Mayotte. Ensuite, au moment où beaucoup de Comoriens arguent que Mayotte est une partie de leur pays et soutiennent que cette île est une partie de leur territoire occupée par une puissance étrangère, pourquoi ne pas essayer d’entendre leurs arguments et tenter de les mettre devant des éventuelles contradictions? Pourquoi éviter soigneusement d’évoquer les résolutions de l’ONU sur la question?
Enfin, un sérieux doute plane sur les personnes interviewées qui, curieusement racontent la même histoire, à savoir la fuite de leur pays gangrené par la misère qui est justement la version officielle. Or, on sait qu’il y a un fort métissage entre Anjouanais, Mohéliens, Grand-Comoriens et Mahorais et que nombreux sont ceux qui se rendent à Mayotte pour des raisons familiales. En somme, comme plusieurs spectateurs, je suis resté sur ma soif de vérité. Je continue d’espérer qu’un jour émergera une génération de journalistes courageux, qui exerceront leur métier avec objectivité et sans partie prise. Des journalistes qui s’affranchiront du discours officiel et qui se poseront les vraies questions sur des sujets aussi graves qui touchent à la dignité humaine.
A.A.