PAU. LES DEUX ETUDIANTES COMORIENNES MENACEES D'EXPULSION ONT REPRIS LEURS COURS
02 févr. 2010Libres, mais la peur demeure
«Oh ! Vous êtes là ! On se sentait complètement désemparés ». Il est 10 heures du matin, lundi, dans l'un des couloirs de l'Université de Pau et des pays de l'Adour, quand une étudiante se jette dans les bras de Sitti, sa camarade comorienne.
La jeune fille fond en larmes, avant d'enlacer également Liuizine, tout sourire. L'émotion est intense parmi les quelques jeunes gens présents.
Voici peu de temps encore, ces deux jeunes filles étaient enfermées dans un centre de rétention parisien, redoutant d'être expulsées de France. Dans quelques minutes, elles vont retrouver leur salle de cours sous les applaudissements d'une vingtaine d'étudiants. Et reprendre leur vie universitaire comme si rien ne s'était passé, ou presque. Car elles l'avouent, la peur d'être à nouveau arrêtées continue à leur nouer le ventre à chaque instant.
Solidarité
La semaine vécue par ces deux jeunes femmes, nées aux Comores mais élevées à Mayotte, a été psychologiquement terrible.
Interpellées le 25 janvier à Pau parce qu'elles étaient en situation irrégulière, Sitti, 24 ans, et Liuizine, 21 ans, se sont retrouvées dans le centre de rétention de l'île de la Cité, à Paris. « Il y avait là des Asiatiques, des Africains, des gens de pays de l'Est. À tout moment, on éprouvait l'inquiétude de se retrouver dans un avion, expulsées », racontent-elles.
Un enfermement éprouvant. « Surtout lorsque l'on voyait le nom de telle ou telle personne affiché sur un tableau, à côté de l'heure de son départ. Chaque fois, on se disait que notre tour allait venir. Tout le monde était angoissé. »
Tandis qu'à l'extérieur la solidarité des associations et des amis s'organisait, à l'intérieur, les expulsés potentiels se serraient les coudes. « Les gens n'avaient pas le droit de détenir un téléphone portable capable de prendre des photos. Quand ce n'était pas le cas, ils prêtaient leur appareil à ceux qui en étaient dépourvus. Et on s'informait de nos situations mutuelles. De même, si quelqu'un était convoqué chez le juge, on s'entraidait moralement. »
« Là pour nos études »
La libération des deux étudiantes, obtenue grâce à un vice de procédure, leur a été annoncée jeudi par Réseau universités sans frontières (RUSF). « J'ai hurlé de joie. Je n'y croyais pas », dit Sitti.
En quinze minutes, elles se sont retrouvées dehors, accueillies par des amis qui, après les avoir hébergées, les ont ramenées à Pau.
Aux yeux de l'administration, toutes deux restent en situation irrégulière. Elles connaissent la précarité de leur situation. Bien qu'elles aient du mal à comprendre comment, on peut les expulser vers l'Union des Comores. Un pays étranger où, certes, elles sont nées. Mais sachant qu'elles ont passé toute leur jeunesse à Mayotte, collectivité française, qui deviendra d'ailleurs l'un de nos départements en 2011. « Au plus profond de nous, nous nous sentons françaises ». Beau sujet pour alimenter le fameux débat sur la citoyenneté.
En fait, le sentiment qui les étreint est simple. « Nous avons peur. Nous sommes obligées de vérifier à chaque pas si nous sommes suivies, et s'il n'y a pas la police derrière nous. C'est très difficile à vivre. Mais nous nous disons aussi que nous sommes là pour nos études. »
Une formation de géographe que Sitti et Liuizine, étudiantes en seconde année de licence, n'envisagent un instant pas d'abandonner. « Nous sommes venues pour cela. » Pas question non plus de se dissimuler. Même si le lieu d'hébergement que leur offrent des amis qui les soutiennent reste aujourd'hui discret.
« Depuis notre arrivée, nous ne nous sommes jamais cachées », dit Liuizine. « Nous avons assisté régulièrement à tous nos cours. Pour certaines personnes, le mot études ne signifie peut-être pas grand-chose. Mais pour nous, cela représente tout notre passé et tout notre avenir. Nous continuerons à nous battre pour cela. »
Pétition et portraits
Hier, toutes deux ont tenu à remercier toutes les personnes qui les ont aidées. En espérant que le préfet « pourra revenir sur sa décision », et que l'obligation de quitter le territoire français dont elles font l'objet sera levée. En attendant, la mobilisation des milieux universitaires se poursuit (1). Une pétition a été lancée sur Internet et plus de 150 personnes de diverses sensibilités, dont le PS, le PCF et le Modem, ont manifesté hier devant la préfecture, en faveur des deux jeunes femmes. Toutes demandent qu'une carte de séjour temporaire étudiant-élève leur soit délivrée.
La mairie de Pau, représentée lors de la manifestation par Martine Lignières-Cassou, a aussi été contactée pour installer les portraits de Sitti et Liuizine sur sa façade. Par solidarité.
(1) Un soutien unanime aux étudiantes comoriennes a été voté lundi par les élus du Conseil d'UFR de lettres, langues et sciences humaines.
Auteur : jean-JACQUES NICOMETTE (jj.nicomette@sudouest.com)
Source : sudouest.com
Sitti (à gauche) et Liuizine (à droite)
PHOTO LUKE LAISSAC