REQUETE EN INTERPRETATION : LACOUR A DIT, LE DROIT ET APRES ?
23 oct. 2015Alors que depuis le 12 octobre dernier à Moroni, tout le monde politique a retenu son souffle en attendant la décision de la Cour constitutionnelle (CC) suite à la saisine de celle-ci par le Rassemblement des patriotes comoriens (RPC) ou tout simplement l’opposition pour avis interprétatif de l’article 13 de la Constitution, ladite Cour vient de rendre son verdict ce jeudi 22 soit 10 jours après sa saisine.
Incompétence de la Cour sur la première branche du recours.
Rappelons d’emblée que cette requête a mis la CC dans une situation peu confortable. Comme le disait le juriste Abdou Elwahab Msa Bacar dans sa contribution parue sur le site Comoresdroit au lendemain de saisine de la cour, « Il faut reconnaitre que l’exercice assigné à la Cour est délicat dans la mesure où il est demandé à celle-ci de se prononcer sur une candidature éventuelle, celle de l’ex-Rais, et de se prononcer sur un domaine ne relevant pas a priori de son champ d’intervention, en l’occurrence, le « recours en interprétation » de la constitution et des lois organiques ». Cependant, nous avons été nombreux à penser qu’il aurait été judicieux que la Cour saisisse cette occasion pour se prononcer une bonne fois pour toute sur cet énigme que pose notre désormais célèbre article 13. Mais cela relève plutôt du bon sens que du droit. Le droit, la CC l’a dit dans sa décision.
L’arrêt rendu ce 22 octobre par la CC est accueilli différemment par l’opinion. C’est le moins que l’on puisse dire. Certaines réactions que j’ai pu lire sur internet peu après la publication de la décision de la Cour font état d’une incompréhension totale de cet arrêt. Nombreux sont ceux qui se demandent qui peut nous éclairer sur l’article 13 de la Constitution si la CC ne peut pas le faire ? D’autres ont interpréter cette décision de la Cour comme autorisant tacitement l’ancien président Sambi à se porter candidat aux élections primaires prochaines. Ce n’est toutefois pas la position officielle du RPC qui dans un communiqué juge l’attitude la Cour incompréhensible et « regrette que la Cour n’ait pas assumé ses responsabilités de juge du contentieux électoral et de gardienne de la légalité constitutionnelle ».
Nous allons dans ce commentaire essayer de montrer qu’en se déclarant incompétente pour donner un avis d’interprétation de la constitution, qu’en déclarant irrecevable le recours sur la candidature de Sambi, la CC n’a fait que dire le droit. Ni plus ni moins. Pour cela notre argumentation va se fonder sur les textes juridiques qui régissent la CC à savoir la Constitution elle-même et la loi organique relative aux attributions de la Cour.
Le titre 6 de la Constitution des Comores adoptée en 2001 puis révisée en 2009 est consacré à la Cour constitutionnelle. Il est constitué de 5 articles allant du 36ème au 40ème article. L’article 36 énumère les compétences de la Cour que nous pouvons lister ainsi :
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Juge de la constitutionnalité des lois (se prononce sur la conformité des lois à la constitution)
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Garante des opérations électorales et juge du contentieux électoral
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Garante des droits fondamentaux de la personne et des libertés publiques
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Garante de la répartition des compétences entre l’Union et les îles et est chargée de statuer sur les conflits de compétences entre les institutions.
Quant à la loi organique n° 05-014/AU relative aux attributions de la Cour constitutionnelle, elle ne fait que porter développements et précisions des dispositions constitutionnelles du titre 6 susmentionné. Cette loi, pas plus que la Constitution, n’accorde aucune compétence à la Cour en matière d’avis interprétatif de la Constitution. C’est ce qui a permis au juge constitutionnel de dire en l’espèce que « La Cour se déclare incompétente pour statuer sur la branche du recours des sieurs Fouad Mohadji et consorts portant sur la demande d’avis d’interprétation de l’article 13 ». L’interrogation de la première branche de la requête est de ce fait résolue. Bien qu’au fond elle reste entière.
Ainsi, nous soulignons la nuance à faire entre le rôle de la CC juge de la constitutionnalité des lois, et le travail que cette requête a voulu lui faire faire à savoir donner un avis en interprétation d’un article de la Constitution. Dans le premier cas, la Cour cherche à s’assurer de la conformité à la constitution d’une loi adoptée. Cela implique forcément une interprétation des dispositions constitutionnelles concernées. Cette mission est par ailleurs une des raisons d’existence de toute Cour constitutionnelle et est prévue par la Constitution.
Dans le deuxième cas, il s’agit d’une demande faite à la Cour l’invitant à interpréter des dispositions constitutionnelles sans rapport aucun avec une loi. Le cas de cette affaire en question. Seulement ici la CC n’a aucune obligation à le faire.
Pas de contentieux électoral sans processus électoral.
La requête de l’opposition dans sa deuxième branche demandait à la Cour de dire que « la candidature d’Ahmed Abdallah Sambi, du moment qu’elle remplit les conditions d’éligibilité est recevable ». Ce à quoi la Cour a répondu dans le 2ème article de son arrêt : « Déclare ledit recours en sa branche sur la candidature d’Ahmed Abdallah Sambi à l’élection du président de l’Union prématuré et donc en l’état irrecevable ».
Cette réponse est claire et était même prévisible pourtant mal accueillie par l’opposition. En effet, dans son communiqué on l’a vu, le RPC « regrette que la Cour n’ait pas assumé ses responsabilités de juge du contentieux électoral ». Cette réaction est surprenante à plus d’un titre car s’il est vrai que la CC est le juge du contentieux électoral, il faut au préalable l’existence d’un processus électoral. Or, nous nous trouvons dans une phase où certes les prochaines élections occupent tous les esprits, mais le processus d’élections n’est pas encore effectivement déclenché, la période de dépôt des candidatures n’est pas ouverte. Le contrôle de la recevabilité des candidatures ne se fait pas a priori mais a posteriori. Comprenez après le dépôt effectif de ladite candidature. Ainsi, la CC ne pouvait se permettre de statuer sur l’éventuelle candidature de Sambi. Elle se réserve de le faire le moment venu. Pas de contentieux électoral sans processus électoral. C’est ainsi qu’il faut comprendre le 2ème article de la décision de la CC.
Quelles en sont les conséquences juridiques et politiques ?
Incompétence et irrecevabilité. Tels sont les mots clés de cette décision de la Cour. A noter que ce qui est déclaré irrecevable est non pas la candidature de l’ancien président mais le recours formé par sa famille politique. Non recevable car prématuré. Ce qui a conduit certains observateurs à se demander ce que dira la Cour lorsqu’une candidature de Sambi sera effectivement déposée au moment venu. Autrement dit sur quels textes juridiques la CC va –t-elle s’appuyer pour apprécier la recevabilité de cette candidature alors qu’elle vient de se déclarer incompétente pour interpréter les dispositions de l’article 13 ? Cet article de la tournante qui constitue le nœud du problème.
En réponse à ces interrogations, la Cour n’ira pas chercher ailleurs. Pour statuer sur la recevabilité ou non d’une candidature, de toute candidature, elle s’appuiera sur les textes juridiques en vigueur y compris et notamment l’article 13 en question. Tout simplement car il s’agit de cas différents, de procédures différentes. La Cour s’est déclarée incompétente pour statuer sur « une demande d’avis d’interprétation de l’article 13 », ce qui n’est pas contestable au vu de ces compétences normatives ci-haut citées. Cette procédure est différente de celle consistant à apprécier sur la base des mêmes dispositions légales la recevabilité d’une candidature effectivement déposée lors d’un processus électoral en cours.
Et la politique dans tout ça ?
Sur le volet politique, la décision de la Cour n’arrange personne. Si elle met les partisans de Sambi dans l’embarras, elle ne rassure pas non plus ses opposants. En effet, le RPC va devoir décider de maintenir la candidature unique de leur champion et ancien président Sambi au risque de voir celle-ci rejetée par la Cour, ou de la doubler d’une autre candidature pour sauver les meubles au cas où. Ou bien tout simplement de renoncer à une candidature de l’ayatollah et choisir un autre ténor de leur clan. Dans tous les cas le consensus au sein de l’opposition risque d’être difficile à trouver si tant est qu’un consensus soit possible.
Pour ce qui est des opposants à une candidature de Sambi, rien n’est rassurant pour eux, la Cour ne s’étant pas prononcée sur le fond du problème. Alors Sambi sera-t-il ou non candidat ? L’interrogation reste entière. A suivre…
MOHAMED BEN ALI Abdourahmane.
COMORESplus