RUPTURE DIPLOMATIQUE ENTRE MORONI ET TEHERAN, UN MYSTERE AU SEIN DU POUVOIR EN PLACE.

Moumadjad Ben Soudjay 

Il y a quelques mois, précisément le 13 janvier 2016, l'Ambassadeur d’Iran à Moroni a été prié de quitter le territoire national dans un délai plus bref. Une décision qui a fait l’objet de plusieurs critiques. La question était « Pourquoi cette mesure radicale » ?

Sept mois après, le nouveau pouvoir en place, met fin à la mission de la Polycliniques iranienne (Selon le quotidien Al-Watwan, édition n°2988 du 15 Août 2016), « une lettre du Ministre de la Santé, est adressée au Président de la PCRI aux Comores. Cette lettre, porte la Réf : 1633/MSSPSPG/CAB du 10 Août 2016. ». Selon de nombreuses personnes, cette décision est irrationnelle, vu le besoin manifeste de la population comorienne (90.000 consultations/an). En revanche,  le Gouvernement qui a pris cette initiative, considère cela comme une nécessité diplomatique. Si l'on se contente de trouver « le pourquoi », dans une lecture traditionnelle en se limitant sur les teneurs et aboutissants des relations Irano-comoriennes, on risque d'aller à la dérive d'une analyse erronée. Aucun des critères fondamentaux conduisant à une dégradation des relations entre les deux peuples n'a été observé ni à Moroni ni à Téhéran. Pourtant, si l'on déplaçait la problématique vers un angle géoponique au niveau régional (Monde Arabe), on remarque qu'une bipolarisation confessionnelle des pays levant du Golf ou encore du Moyen-Orient est entrain de se dessiner depuis quelques années. Avec, d'un côté l'Arabie Saoudite soutenu par ces alliés des Emirats arabes-unis ou encore le Bahreïn, et de l'autre, la République Islamique de l'Iran soutenue par l'Irak et une Partie du Liban où le Hezbollah est devenu un acteur incontournable dans la région.

En effet Riyad et Téheran se livrent à une guerre par interposition en Syrie et au Yémen depuis quelques années. Le Royaume saoudien accuse son voisin Iranien de déstabiliser le Golf et de l'autre, Téheran accuse son rival de s'immiscer dans les affaires internes des Etats, en finançant des rebelles dans le but de renverser des gouvernements démocratiquement élus. Des coopérations lient les deux Etats auxquels s'ajoute le Royaume Wahhabite. Le résultat ne sera qu'une  hypothèse parmi tant d'autres. Avec cette situation embarrassante, seul le Gouvernement comorien est en mesure de donner les raisons de cette fracture diplomatique.

1-Rappel des faits directs

L'exécution d'un Imam Chiite, Al’cheick Nimr Baqer al-Nimr, condamné pour terrorisme en Arabie Saoudite, fut la goutte d'eau qui a fait déborder la vase. Des manifestations ont été organisées dans certaines capitales du monde Arabe. En Iran, des groupes parmi les manifestants ont attaqué les locaux diplomatiques saoudiens en Iran. Le Président Rohany va aussitôt condamner ces attaques et demander à ce que la justice iranienne fasse la lumière sur cette exécution. Un discours considéré par Riyad comme un maquillage diplomatique. Le Roi Saoudien va directement saisir le conseil de sécurité et demander la tenue d'une réunion des ministres des relations extérieures de la Ligue des Etats Arabes. Au cœur du sujet « le non respect par l'Iran des accords de Vienne ». Malgré l'arrestation de plus d'une quarantaine de suspects liés aux attaques. Se présentant comme victimes d'une agression iranienne au nom des accords de Vienne, l'Arabie saoudite déploie son état-major diplomatique dans les Pays partenaires et alliés du monde arabe, parmi lesquels, les Comores. Chacun est appelé à prendre position sur ce différend, où il juge qu'il y a eu violation d'un principe international.

Les Comores comme le Soudan, Bahreïn, Emirats Arabe-unis et tant d'autres, ont dû répondre à l'appel des saoudiens même ci, certains parmi eux n'ont pas rompu significativement leurs relations avec l'Iran. Considérées par Riyad comme principal allié dans l'Océan indien, avec ses 98% des sunnites, les Comores ont depuis 2004 battu les cartes émérites pour se faire une place dans le monde Arabe.  De la plaidoirie à la mise en avance de sa position géographique, les Comores ont petit à petit, pris des positions sur des dossiers brûlant du monde arabe. Considérer comme proche de l'Iran, l'ex chef d'Etat comorien Ahmed Abdallah Mohamed Sambi alors Chefs d'Etat (2006-2011) avait su redynamiser les relations multilatérales entre les Comores et les pays du monde Arabe.

Par conséquent, Téhéran accrédite un Ambassadeur à Moroni et signe dans la foulé des accords autour de plusieurs projets notamment en matière énergétique, scientifique, technologique et social… alimentés par des capitaux Iraniens. Cette main tendue n'a pu échapper à la vigilance de Riyade, qui traduit cette démarche comme base d'une implantation de l'Iran dans l'Océan indien, « un tremplin stratégique vers l’Afrique australe et du sud ». Mais la décoration de l'Emir du Qatar en avril 2010 au Grand Croissant de l'Ordre du Croissant Vert des Comores et la tenue de la conférence des Bailleurs à Doha vont changer la donne, Riyade perçoit cette reconnaissance comme un Boulevard.Par cette dynamique, les pays du Golf, la Libye, le Soudan ou encore l'Iran s'impliquent d'avantage pour la croissance et la stabilité des Comores. Deux ans après l'arrivée au pouvoir d'Iklillou Dhoinine, l'Arabie Saoudite va profiter de la mise à l'écart de l'ancien Raïs pour rattraper l'avance qu'avait pris son voisin aux Comores. En 2013, le Royaume saoudien accrédite à son tour un Ambassadeur à Moroni et s'implique d'avantage au cœur des fractures économiques aux Comores.

Ainsi, certains intellectuels comoriens se demandent, « pourquoi ne pas continuer à rester neutre et profiter des intérêts qu’apportent les deux Etats en Union des Comores ? » La raison et toute autre; puisqu'il est actuellement difficile de mener une diplomatie à géométrie variable dans les pays du Golf et aux Moyen Orient.

2-Enjeux Politico-économique

 Interrogé à ce sujet par la Radio Télévision ya Ndzuwani (RTN), le Vice-président Moustadroine Abdou a déclaré que  la Mission iranienne touchait à sa fin et le gouvernement a choisi de ne pas renouveler, pour des raisons qu'il n’a pas évoquées. « Si le gouvernement n'a pas sollicité la reconduction de la mission iranienne, c'est qu'il y a des zones d'ombre sur la présence des certains organismes iraniens aux Comores.». Qu'est ce qui peut bien se cacher derrière ces accords qui intriguent le gouvernement malgré la présence de certains proches de Sambi ? Ce silence quasiment total des acteurs politiques dans les sphères publiques n'en dit pas beaucoup ?

Enfin, depuis la reconnaissance d’Ahl’Sunna wal Djaman comme doctrine officielle de l'Etat  réaffirmée par l'arrêt de la Cour Constitutionnelle n°13-003/CC du 07 mai 2013 ( sans porter préjudice aux libertés publiques de chacun garanties par la Constitution), avait poussé le régime précédent à plus coopérer avec les Saoudien. En parvenant à rembourser 80% des 55 millions de dollars de prêts versés par le Fonds saoudien de développement (FSD) à l’Etat comorien, les autorités du pays donnent des gages de bonne volonté. Progressivement, le vent tourne. L'accord d’un don de 40 millions de dollars dont une partie sert à couvrir les arriérés de salaires des fonctionnaires comoriens. De quoi convaincre Moroni d’emboiter le pas aux Emirats arabes unis, au Bahreïn et au Soudan qui rompent, par le biais de l’Arabie saoudite, les relations diplomatiques avec l’Iran en janvier 2016. Face à ces faits tangibles, le gouvernement avait le choix entre suivre la voix des Saoudiens ou manquer à l'appel, ce qui exposerait l'Etat à des lourdes conséquences au niveau économique. Mais que faire de l'apport Iranien ? C'est là où le débat devrait se focaliser. Ont-ils promis de prendre le relais ou ce n’est qu’un vent des Alizés du Sud ?

Moumadjad Ben Soudjay 

COMORESplus

 

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