SOUEF ALIAMANI
06 févr. 2017Par L.A
Quelle que soit la gravité des choses, le destin ne parvient pas à effacer le court du temps. Tout va à son rythme. On fonce vers sa destinée sans avoir le temps de jeter un coup œil dans le rétroviseur. Comme une locomotive, la vie défile en laissant derrière soi la réalité par résidus en souvenirs qui vont se voir réduire en poussières dans l’oubli. Mais il y a ceux qu’on n’oublie jamais. Nous voyons disparaître des gens qui nous sont chers, sans avoir pu avoir le temps de leur dire qu’on les aime, qu’on les admire. Ces instants de privilèges nous passent sous le nez comme des images qu’on n’arrive pas à mettre un nom.
Le jour où il ils nous tournent le dos pour rejoindre la suite de leur histoire, celle que nul n’est jamais revenu pour en témoigner l’existence. Ce qui se passe à l’autre côté du rideau de l’ombre et du silence reste complexe. Nous nous résignons au respect du disparu et des mystères qui guettent chacun de nous quand viendra son tour. Toutes réponses restent suppositions pour les uns et une évidence pour les autres. Nous nous remettons tous aux penseurs ; seuls reflets qui apaisent nos inquiétudes qui restent les vraies questions de l’après vie.
Nous avons perdus des êtres chers. Un père, une mère un frère. Tous proches de nous par le sang, alliance où connaissance. Quelles que soient nos relations, on se rapproche, on s’attache pour nous dépendre, les uns sur les autres. Quand l’un de nous disparait, on souffre pour l’être perdu mais aussi pour soi-même. On pleure pour sa propre disparition. Quand on perd un proche, on perd un peu de soi-même. On en a trop versé des larmes et pourtant, la source de ces substances qui apaisent nos peines ne se voit jamais tarir. Il y en aura toujours une ou deux goûtes qui vont se secréter pour désaltérer nos pleurs.
Je ne me savais pas aussi fragile, à chialer comme un gosse. Mais je réalise à mon tour qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Le sang qui coule en moi a bouilli quand j’ai appris la fin de l’histoire de ce grand homme. Cet homme était mon grand frère, mais vu la différence d’âge qui nous séparait, il fut l’image de mon père. Toutefois nos rapports d’amitié avaient presque gommé ces tabous qui se dressent comme un mur entre grand et petit frère. Plus je vieillis plus je lui ressemble. Dur, rigoureux et émotionnel. Sœuf Aliamani, était un missionnaire sur cette terre, un simple mortel comme nous tous. Mais pouvoir ou savoir faire ce qu’on devait faire n’est pas donné à tous.
Cet homme incarnait la rigueur, la détermination. Il était très critique et sévère avec lui-même, car il savait que rien n’est acquis sans efforts. Il y croyait que tout ce qui ne se fait pas par amour et passion ne nourrit jamais les intentions. Je ne vais pas prétendre parler de ce grand frère que bien des gens connaissent mieux que moi. D’ailleurs Il avait lui-même compris qu’on n’est mieux servi que par soi-même. Comme Mozart il a écrit son récital : « le récit d’un mort vivant ». Par ses mots il a parlé de lui tant est en mesure de le faire. Car le jour où il ne sera pas là d’autres voudront le faire et nul ne peut quelle que soit sa plume le faire mieux que lui. Son écriture limpide qui se lit comme se boit de l’eau fraîche dans un verre en cristal. Il parle de lui comme le ferait une tierce personne sans repli sans emménagement.
Cet homme connaissait la valeur des mots et les faisait danser à sa manière. Il savait faire des compliments à qui le méritait, pas seulement pour faire plaisir. Pour lui la reconnaissance est un du. Quand je pense à lui, une image lointaine se dessine en moi. Je me souviens vaguement un jour, avec mes amis. Sorti de l’école, on s’est trouvé autour d’un tacot, une vieille bagnole aux yeux d’un non averti, bonne pour la casse. Avec une multitude des gosses on dansait comme les indiens autours d’un feu de sacrifice. Je devais avoir 5/6 ans.
Tout à coup, comme si la terre allait se renverser sur nous. Un gendarme fonça sur ces galopins en hurlant :
- Bande des gamins mal élevés, attendez que je vous rattrape, je vous mets tous en prison.Vous et ceux qui vous ont mis au monde.
Tout le monde a pris la fuite comme par hasard, il a rattrapé deux gosses, parmi lesquels moi. J’ai eu la peur de ma vie. Il nous a beau crié à nous donner la chair de poule. Il nous a mis en garde de ne jamais nous approcher de sa bagnole pour ensuite nous lâcher. Ouff, plus peur que de mal.
Le soir même, ma mère a reçu une visite de quelqu’un que je connaissais. C’est le gendarme qui nous a ravis ce matin. Mince je ne suis pas sorti de l’auberge. Moi qui croyais avoir mis un point sur cette affaire, je vais maintenant mettre ma mère dans des salles draps. J’allais m’enfuir, mais ma mère me retient.
- Viens mon fils, tu connais ce monsieur ?
- Oui c’est un gendarme, il a dit qu’il viendra nous chercher avec nos parentspour nous mettre en prison. J’ai peur de lui. Ma mère éclata de rire. Je ne comprenais rien de la situation. Et puis rajouta :
- Non mon fils, ce gendarme est ton grand frère. Il ne va pas te faire du mal.
Il m’a pris dans ces bras et a éclaté de sanglot.
- Excusemoi mon petit frère, tout ça est de ma faute. C’est moi qui devrais venir vers toi depuis longtemps mais ce qui est écrit l’est sans équivoque. J’espère que dorénavant, on va ouvrir une nouvelle page.
C’est ainsi que le grand gendarme a fait ma connaissance. Depuis ce jour-là, on s’est rapproché l’un de l’autre. Aujourd’hui tu n’y es plus et chacun parlera de toi par son verbe. Ce qui est sûr, nul ne pouvait passer sans te voir sur son chemin mon frère. Va où ton destin t’emmène, suis la lumière.
Laheri Alyamani
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