Dans la panique, on part en accusation contre les supports pédagogiques (curricula, manuels, méthodes et techniques pédagogiques) et les ressources humaines en charge de l’apprentissage de la langue française (enseignants, formateurs, encadreurs) aux Comores. Vrai ou faux, un débat sur la question se profile en ce qui concerne la santé de cette langue française aux Comores.

Pour motiver ce grand débat en perspective, je livre quelques constats, certaines pistes de réflexions et quelques hypothèses de solutions sans trop prétendre être complet.
Dans tous les cas, il y a lieu de faire le constat le plus large possible pour s’apercevoir que partout où le français est en usage, les difficultés sont de plus en plus nombreuses. J’en veux pour preuve une lettre officielle de félicitations adressée au Président Azali au lendemain de son élection et qui fait la promotion de fautes pourtant faciles à corriger. Cette lettre lui a été adressée par un Président d’une grande république francophone. Ce qui m’amène à m’interroger sur la capacité des fautes à dominer les usagers, jusqu’aux sommets administratifs des états francophones. Aux Comores, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs qui conditionnent à la fois la qualité de la langue et la capacité de celle-ci à se rendre utile et nécessaire chez les usagers.

I- Quel constat ?

- Tout en français et pour quel but?

Depuis la Maternelle jusqu’à l’Université, l’apprentissage du français se fait de façon violente. On impose aux élèves un apprentissage qui ne cadre pas avec les besoins normaux liés à l’appropriation et l’utilisation des fonctions de communication (comprendre et s’exprimer oralement et par écrit) dans une langue. Deux fois et demi sur trois, les enfants apprennent les règles de la langue au détriment de l’usage de celle-ci. Résultat, les élèves deviennent de bons mécaniciens de la langue plutôt que de bons chauffeurs. Ils sont capables d’analyses et de structurations mais trop faibles en expression (orale et écrite).

- Vous avez dit DELF ? Une interrogation, un questionnement, une surprise. Nos enfants qui font la maternelle jusqu’à l’Université en français se voient placés devant un Diplôme Élémentaire de Langue Française (DELF) qu’ils doivent préparer et obtenir, non pas à l’école mais dans une alliance française, avant de pouvoir postuler pour une inscription dans une université française. Alors que notre système a depuis toujours instauré le CEPE (Certificat d’Étude Primaire et Élémentaire) comme base élémentaire de connaissance et d’insertion sociale, nous voici sur le fil de rasoir qui nous est tendu par ce DELF originellement conçu pour des publics non francophones, désirant poursuivre des études en français ou s’intégrer dans le monde économique français (attention, pas francophone). L’outil est vite devenu le moyen de refouler ces nombreux jeunes francophones, notamment comoriens, qui par amour de cette langue projettent de se développer à travers elle. L’outil refoule ces jeunes qui portent désormais leur regard à l’anglais, l’arabe et le chinois. Les NTICs aidant, ces jeunes s’inscrivent massivement dans d’autres universités, notamment en chine, à Maurice, au Soudan, Dans les pays du Golf, en Afrique du Sud, en Ouganda….. afin de parfaire leurs projets d’insertion professionnelle future.

- Un terrain pauvre en ressources et en initiatives francophones.
Un constat amer. L’environnement francophone aux Comores est en chute libre. D’autres langues sont entrain de s’y développer et de prendre de l’importance. Des instituts, écoles et centres développent des formations en anglais, en chinois et en arabe. Les jeunes y voient des opportunités réelles, liées au monde des nouvelles technologies, aux échanges commerciales et culturelles.

Face à ces nouveaux défis, le français doit revenir sur le terrain, récupérer sa place et surtout développer des dimensions fonctionnelles pour regagner le cœur de ces jeunes francophones.
Que faire concrètement ?

D’entrée de jeu, je voudrais souligner que des actions visant le sommet (les formateurs, enseignants et encadreurs pédagogiques) ne sont ni suffisantes et ni prioritaires. Pourquoi ? Pour avoir servi deux grands projets de redynamisation de la francophonie aux Comores (le PARSEC et le PASECOM, projets conjoints Comores/ France), je crois savoir que les actions à la base (auprès des jeunes) sont tellement fructueuses et aux résultats immédiats que nous ne devons pas nous en passer. C’est donc ainsi que je proposerais, entre autre :

- Le développement d’actions de lecture

Ceci suppose de disposer de moyens livresque et de matériels roulants pour jouer la carte du bibliobus, afin de mettre des livres à disposition des écoles et bibliothèques villageoises pour être lus et commentés à travers une émission télévisée.
- l’écriture, l’imagination et l’invention en français.

Il s’agit de mettre en place dans les écoles, les associations culturelles et les Clacs, des ateliers d’écriture qui peuvent déboucher, au moyen d’une pédagogie active, sur la production de divers textes comme le conte, le récit, le texte théâtral, le court métrage et bien d’autres support écrits qui seront exploités par les enseignants de tous les niveaux, les associations et autres.

- le développement des espaces de l’utilisation du français.
En parallèle avec ces programmes qui intéressent les jeunes scolaires et associatifs, la dimension constitutionnelle de la langue française, en tant que langue officielle, doit pouvoir se développer. Aujourd’hui, le monde administratif, médical, commercial et culturel utilise le français à l’écrit. Il va falloir accorder des espaces oraux à cette langue, notamment dans certaines situations de communication.

- Une orientation de la recherche universitaire vers la situation du français.
L’université, en sa qualité de serviteur du développement doit pouvoir orienter la recherche dans le domaine de l’apprentissage du français, notamment par la recherche action, professionnelle et académique. Ceci afin de comprendre les raisons de la perte de vitesse de cette langue et les hypothèses de progrès possibles. La faculté des Lettres et l’IFERE seraient les plateformes de ces projets de recherche.

Pour finir, je souligne la complexité de la situation du français aux Comores. J’estime que les efforts des uns et des autres doivent d’abord passer par une analyse objective de la situation, une proposition de leviers d’actions qui doivent toucher en premier lieu les utilisateurs de cette langue et une politique spécifique qui tient compte de l’aspect psychologique lié à l’utilisation par les comoriens de cette langue française, l’élargissement des horizons et des débouchés pour nos jeunes qui sont le fer de lance de la francophonie dans un monde de concurrences.

Si nous définissons une politique de la langue française aux Comores, nous aurons assez rapidement les moyens et techniques pour implanter les actions et baliser le chemin vers l’atteinte des objectifs préalablement définis. Merci.

Mohamed ALI MGOMRI

Inspecteur Pédagogique, Formateur

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