La vie se mesure en temps. Quelle que soit sa durée, celui d’un homme file à une vive allure. Elle ne dure que l’espace du temps que parcourt un projectile de sa base à sa cible.

Le monde de la culture comorienne vient d’être attristé par la perte d’un de ses piliers Une perte tragique d’un enfant dévoué et prodigue nous étant aussi cher. La culture comorienne est comme touchée en plein cœur. Il s’agit de la perte d’Abou Cheick. Cet enfant d’une richesse hors paire, n’est plus… Je ne m’en prends pas au bon dieu qui fait de nous, ce que bon lui semble. J’ai seulement du mal à retenir les flots d’émotions qui émergent en moi et qui s’échappent en ruisseaux des larmes.

On voit filer à chaque fois des étoiles, laissant une trainée de lumière à leur passage pour surement rejoindre leur place d’honneur, loin très haut dans le ciel, dans l’éternel. On perd des perles, les joyaux, des fervents défenseurs de notre culture, sans que beaucoup entre nous se rendent compte de quel pas de l’échelle se découvre chacun d’eux. C’est toujours tôt, la mort d’un homme, surtout s’il avait comme mission servir les autres. « Les bons arbres ne durent pas dans la forêt. », disaient les sages comoriens. Ce grand homme a tourné dos à ce monde et nous pouvons désormais confronter le vide majeur qu’il nous laisse.

Nul n’est irremplaçable me dirait-on, mais n’oublions pas aussi, que personne ne peut apporter la part que l’autre représentait. Chaque couleur a sa chaleur, chaque mérite a sa valeur. Ce qui veut dire que l’apport de chacun est unique, voire utile à sa manière. Même si on sait qu’il y a une fin à tout, c’est toujours dur de voir partir une personne que l’on connait si positif et surtout pour le bien commun. On doit partir un jour mais quel que soit la force de chacun, s’habituer à cette fatalité est une épreuve qui reste au-dessus de tous, notamment les humains. Quelle que soit la durée de leur mission sur terre, les grands hommes comme Abou Cheick sont comme les grands arbres en forêt, dense. Ils font autant de bruits lorsqu’ils tombent.

« Je suis triste car je sais combien cet homme nous a été utile. »

Moi je l’ai connu avant qu’il sache que j’existe. Dès mes plus jeunes âges, une époque où les pantalons, taille basses, pattes d’éléphant et cheveux Afro Américain… faisaient rage dans les quatre coins du monde, ce géant du drummer de l’époque dans notre pays, je l’ai connu avant de l’avoir vu personnellement. Rien qu’à l’évocation de ce nom, Abou Cheick, on pensait tout de suite à Soul Makossa, l’éternel tube du grand Manu Dibango. Il fut l’interprète de cette chanson que reprenait, le groupe Kartz, dans chacun de leurs prestations. C’est ce son qui va beaucoup plus tard devenir bilgean un tube du légendaire Michael Jackson. Je le revois encore lors d’une balance avec le groupe « les karts ». C’est avant que la soirée commence, à l’Hôtel Itsandra. Sur la scène, chacun des musiciens se mettait en place choisir le meilleur son de son instrument. Posé sur un pied en forme de T, le micro fut orienté vers le batteur qui se cache sous sa touffe de cheveux afro-américain. Une mélodie presque parlée, à la Manu Dibango, mêlée aux syllabes et au groove, pique, cognent, coule comme une couleur bien mélangée.

Ça chante, danse sous ce rythme Afro-beat :

« Mamakomamasa

Makomakossa

Mamakomamassa

Makomakossa »

Tout tourne autour de la basse et aux accents des baguettes, au toucher de la peau de la caisse claire. Derrière tout ça une voix, celui d’Abou Cheick. Sa voix qui pesait lourde telle un caisson de basse. Ce dernier me rappelait Buddy Miles, le fameux batteur, chanteur du groupe de Wilson Pickett. Une bête de scène et des studios qui a accompagné les géants de ce monde : Jimmy Hendrix, Santana pour ne citer que ceux-là. Tous ces souvenirs me reviennent à la pensée de mon ami Abou qui n’est plus là.

Bref; c’est tout juste pour montrer à ceux qui le connaissent moins ou pas, qu’Abou n’était pas un arriviste dans la musique, en tout cas la culture de notre pays. Il aurait pu aller loin dans ce domaine comme l’ont été beaucoup de ses amis. Mais il a opté pour les coulisses, être derrière la scène se mettre aux services des artistes, se vouer à l’encadrement de ceux qui arrivent. La jeunesse. Beaucoup des gens vont vous parler de ses apports dans divers domaines : radio, sport, informatique, politique, association de toutes sortes. Moi je reste que dans la musique car c’est un domaine qui nous a beaucoup rapprochés, sans pour autant rejeter les autres contributions siennes dans les domaines précités. Bien sûr un des piliers de sa richesse : sa polyvalence.

Je me rappelle d’une confidence qu’il m’ait faite un jour :

- Laher, quand je vois ce que fait mon fils aujourd’hui, je ne peux que me réjouir. Etre fier de lui car il a su prendre son chemin dans le monde du rap sans s’être laissé prendre par le côté néfaste de ce milieu. C’est un environnement qui n’est pas du tout facile. En tout cas, pas comme certains le pensent. Je ne peux que remercier le ciel d’avoir pu le laisser sur le droit chemin. Et il a rajouté ceci : « Mon ami, prend soin de l’avenir des tiens et souviens toi que tout repose sur l’éducation de base que l’on a offert à ses enfants. »

Il y a eu souvent des petits moments très sérieux au court de nos rares retrouvailles. Je ne peux pas parler de lui sans évoquer nos fous rires. Abou aimait beaucoup plaisanter. Il a toujours été à fond sur tout ce qu’il faisait. Je préfère évoquer ces petits moments qui nous sont personnels mais qui sont aussi à partager avec ceux qui l’aimaient. C’est pour moi une manière de le retenir un peu avec nous ou de l’accompagner à distance dans sa dernière demeure. Je ne me sens pas capable de faire la biographie d’un tel homme. C’est pour cela que je ne fais que souligner certains passages des moments que je retiens de lui. Sinon trainer en bien dans les bouches d’autrui, témoigne combien important était cet homme. Sa biographie sera plus crédible venant de ceux qui le connaissent mieux que moi. Je leurs laisse cet espace vierge, d’une infinité de page, afin qu’ils évoquent les souvenirs laissés par ce grand homme.

« Moi je n’ai connu que l’ami, l’homme de radio, l’homme de culture. »

« C’est aussi l’enfant de cœur de ma grande sœur. C’est aussi le rassembleur dans sa famille », m’a confié un de ces frères. Cet homme était accablé des qualités. Il portait avec une aisance ce fardeau sur son dos, sur son cœur. Mais tout ça fut allégé par son humanisme. Il aimait être au service de ses semblables. Je l’admirais tellement car on ne s’ennuie jamais à ses côtés. Il était toujours à l’écoute pour un échange mutuel. Calme, serein, il ne s’énervait jamais quelle que soit la provocation. Pour lui, le dialogue était la seule arme qui ne fait jamais des victimes mais qui libérait plutôt chaque partie.

Il avait un esprit grand angle. Ouvert à tout sujet de conversation. Il pouvait flouter les mauvais herbes pour faire sortir ceux qui est utile pour tout le monde. Pour moi, il n’y a rien qui résistait à cet homme. Il était toujours en avance dans tous les domaines. Il a su apprivoiser la technologie nouvelle à défier la nouvelle génération. Mais tout cela, c’était avant. Aujourd’hui l’homme n’est plus. Mais contrairement à ce qu’on peut croire, quitter ce monde n’est pas synonyme d’être réduit à rien. Au contraire partir c’est se retourner vers le mystère, la sagesse. C’est laisser un lien, un pont d’ici et de l’ailleurs. C’est laisser libre court à ceux qui restent, de pouvoir reprendre ce que tu as entrepris et le finir en mieux. Par ce qu’on a fait on ne meurt jamais. On devient une étoile qui ne sera jamais éteinte. Paix à ton âme Abou.

Abou n’est pas mort, il a changé de lieu. Elle a filé en toute vitesse pour rejoindre la lumière éternelle des anges, veiller sur nous qui sommes si bas, à son tour car les hommes biens ne meurent jamais, ils se reposent.

Nahulazepvadjema mon ami Aboubacar Cheick.

Laher Alyamani

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