Quelle réponse de l’Etat comorien face à la montée de la criminalité ?

Alors que 2025 aurait pu apporter une lueur d’espoir, la réalité quotidienne des Comoriens demeure éprouvante : coupures d’électricité incessantes, pénuries d’eau récurrentes et coût de la vie en constante augmentation. Pour un Comorien seul, subvenir à ses besoins est un défi ; pour une famille, c’est un combat de tous les instants. Pourtant, malgré les plaintes répétées, les autorités restent sourdes aux appels de la population.

Être Comorien aujourd’hui, c’est vivre dans le manque : eau courante absente, électricité aléatoire, système éducatif en déclin, carburant de mauvaise qualité, produits alimentaires avariés et billets d’avion inaccessibles. Cette détérioration des conditions de vie relègue au second plan la question des droits humains et de la dignité citoyenne.

Autrefois, les Comores jouissaient d’une réputation enviable, notamment pour leur stabilité et leur sécurité. Le pays était un havre de paix où solidarité et respect mutuel régnaient. Mais cette époque semble révolue. La stabilité d’antan ne résultait pas d’une politique gouvernementale efficace, mais d’un mode de vie fondé sur des valeurs profondément ancrées. Aujourd’hui, cette harmonie a laissé place à une inquiétude grandissante.

Le mécontentement populaire s’est amplifié début 2025, notamment après des élections législatives jugées ni régulières ni transparentes. Mais ce qui alimente le plus la frustration, c’est l’incapacité de l’État à assurer la sécurité des citoyens et à rendre justice. Or, la sécurité publique est une mission essentielle de l’État, et toute défaillance en la matière engage sa responsabilité.

Février 2025 marque un tournant tragique. En l’espace de 48 heures, deux affaires criminelles d’une violence inédite ont secoué le pays.

La première concerne Hikima Ahamada Soihaibou, une jeune femme retrouvée morte entre Ifoundihé et Mnoungou. Employée dans une agence de transfert d’argent, elle aurait été victime d’un vol ayant dégénéré. Ce drame rappelle un incident similaire survenu quelques mois plus tôt à Moroni, où un employé avait été violemment agressé dans des circonstances proches.

Le dimanche 2 février 2025, un autre crime vient accentuer l’atmosphère pesante : un homme a poignardé sa femme et son enfant. Ces actes de violence, de plus en plus fréquents, plongent le pays dans un climat de peur et d’incertitude.

La peine de mort et le respect des engagements internationaux des Comores

Face à la montée de l’insécurité, la population exprime sa colère et réclame des mesures fortes pour punir les criminels et dissuader de nouveaux actes de violence. Beaucoup demandent la réintroduction de la peine de mort ou l’application stricte de la charia. Cependant, cette orientation soulève des questions cruciales concernant l’image et la position des Comores sur la scène internationale. Il est essentiel de ne pas se précipiter à condamner des criminels sans garantir un procès équitable. La justice ne doit pas être hâtive ni se comporter de manière autoritaire, comme la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

L’État, en cédant à ces demandes, pourrait être perçu comme un régime autoritaire, voire comme un État islamique par la communauté internationale. Une telle décision attirerait sûrement les critiques des institutions internationales et des partenaires du pays. Que diront Paris, Washington ou l’Union européenne ? Les Comores, que le gouvernement présente comme une démocratie, pourraient-elles encore revendiquer ce statut si elles renouaient avec une pratique de la peine capitale, abandonnée depuis plusieurs décennies ?

Il est important de rappeler que la peine de mort n’est plus appliquée aux Comores depuis de nombreuses années. Si elle venait à être réintroduite, cela constituerait un tournant majeur, pouvant remettre en question les engagements du pays en matière de droits humains. Ce débat dépasse donc le cadre national : il touche directement la position du président sur l’échiquier international et les relations avec les partenaires étrangers. D’autant plus qu’en 2023-2024, sous la présidence d’Azali Assoumani, les Comores ont pris des avancées diplomatiques notables, notamment en présidant l’Union africaine. Une réintroduction de la peine de mort pourrait compromettre cette dynamique et faire reculer la diplomatie comorienne.

La réponse à la criminalité ne doit pas être laissée au hasard. Elle nécessite une réflexion approfondie, afin de restaurer la sécurité sans compromettre la stabilité politique et diplomatique du pays. Il s’agit de trouver une solution équilibrée, qui respecte à la fois les principes d’ordre interne et les engagements internationaux des Comores, pour éviter que la lutte contre l’insécurité ne dégénère en crise de gouvernance.

Il convient de clarifier un point souvent mal compris : bien que le Code pénal comorien mentionne encore la peine de mort, elle n’est en réalité pas appliquée. Suite au meurtre tragique de la jeune femme de Mbeni, une large partie de la population réclame l’exécution du suspect présumé. Cependant, cette demande doit être analysée à la lumière des engagements internationaux des Comores, qui ont signé et ratifié plusieurs instruments juridiques, notamment la Charte des Nations unies et la Charte de l’Union africaine. Réintroduire la peine capitale constituerait une violation manifeste de ces engagements, en particulier de l’article premier de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui interdit la privation arbitraire de la vie.

Tout individu, quelle que soit la gravité de son crime, a droit à un procès équitable. L’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que « la personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être arbitrairement privé de ce droit. » Ce principe est aussi consacré par l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui affirme que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

Certains juristes plaident pour une application stricte du Code pénal, arguant que les Comores sont un État souverain. Toutefois, le droit international prévaut sur les lois nationales, comme le prévoit le principe du Pactasuntservanda, selon lequel les États doivent respecter les conventions qu’ils ont librement acceptées. Ce principe est inscrit dans la Constitution comorienne, en particulier à l’article 12, et impose que les traités et accords internationaux ratifiés aient une valeur supra-législative.

La souveraineté des Comores ne justifie en aucun cas une violation des principes fondamentaux des droits humains. D’ailleurs, la réintroduction de la peine de mort ne saurait être justifiée par un cas isolé. Si la peine capitale devait être appliquée à ce crime, pourquoi ne pas l’étendre à d’autres affaires similaires ? Cela risquerait de révéler une décision précipitée, voire populiste, motivée davantage par l’envie de calmer l’opinion publique que par la recherche d’une justice équitable. Il est essentiel de rappeler qu’il ne s’agit pas de défendre un suspect, mais de garantir ses droits fondamentaux. Si ce dernier est reconnu coupable, son crime demeure inexcusable, mais la justice doit s’exercer dans le respect du droit.

Bien que les Comores soient un pays à majorité musulmane, elles demeurent une République démocratique, comme l’indique l’article premier de la Constitution. Le muftorat, en tant qu’autorité religieuse, joue un rôle consultatif dans l’application des règles sunnites et chaféites, mais il ne dispose d’aucun pouvoir législatif ou réglementaire. Le muftorat n’est pas partie prenante du gouvernement, et ses décisions n’ont aucune valeur contraignante. Cette séparation entre la religion et la politique doit être respectée avec rigueur.

Si la pression sociale et les notables locaux peuvent exprimer leurs opinions, la décision finale appartient au gouvernement. Celui-ci doit agir dans le respect des engagements internationaux des Comores, en préservant l’État de droit et les principes fondamentaux des droits humains. Le gouvernement se doit de faire primer la justice et l’équité sur les émotions et les revendications populistes.

Des mesures urgentes pour endiguer l’insécurité

Au-delà des débats, des actions concrètes sont nécessaires. L’extrême pauvreté favorise la criminalité, et il est essentiel que chacun adopte des mesures de précaution, telles que l’utilisation des solutions de paiement électronique pour éviter le transport de fortes sommes d’argent. Les institutions financières devraient aussi renforcer la sécurité lors du transport de fonds afin de limiter les risques d’agressions.

Les banques devraient également mettre en place des convois sécurisés pour livrer l’argent et éviter de mettre les civils en danger. Je proposerais aussi de miser davantage sur les porte-monnaies électroniques comme Mvoula et Hurimoney. Il serait pertinent de pousser les Comores vers l’adoption de la technologie en incitant les citoyens à posséder des QR codes, à la fois pour les particuliers et pour les commerçants. Cela réduirait les risques de transporter de grandes sommes d’argent. De plus, l’ANADEN pourrait accompagner cette transition en collaboration avec les services financiers.

Les transports en commun nécessitent également une vigilance accrue. Un contrôle renforcé des chauffeurs de taxi et des transporteurs permettrait d’empêcher toute personne non identifiée d’exercer cette profession, réduisant ainsi les risques d’enlèvements et d’agressions. Les syndicats de transport doivent jouer un rôle clé en veillant à l’enregistrement systématique de leurs membres.

L’heure n’est plus aux discours, mais à l’action. Il est impératif d’analyser la situation avec lucidité et de mettre en œuvre des réformes adaptées. Sommes-nous prêts à accepter que notre pays sombre dans l’insécurité ? Est-ce dans un tel climat que nous voulons voir nos enfants grandir ?

Nous aspirons à voir les Comores retrouver leur éclat d’antan, cette paix et cette justice qui faisaient jadis la fierté de l’archipel. Il est temps de raviver ce sens des responsabilités et de bâtir un avenir plus juste et plus prospère.

L’amélioration des conditions de vie doit être une priorité, car la pauvreté extrême constitue l’un des moteurs principaux de la criminalité. L’inaction de la justice et son silence face aux crimes entretiennent un climat d’impunité qui aggrave la situation.

Un État fort doit réaffirmer son autorité et garantir la sécurité de ses citoyens. Comme le disait Machiavel : « Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ». Il est temps pour l’État comorien de retrouver sa capacité à protéger et à imposer l’ordre, dans le respect des principes de justice et de dignité.

HOUDAIDJY Said Ali

Juriste Publiciste et Internationaliste

Paris, France

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