ENTRE LE PARLEMENT ET LE GOUVERNEMENT, QUEL CHOIX POUR MADAME INAYATI SIDI ?
12 avr. 2025/image%2F1385848%2F20250412%2Fob_dc3480_3b6e5544-7c1c-4937-9053-51cd39a9dfe8.jpeg)
ENTRE LE PARLEMENT ET LE GOUVERNEMENT, QUEL CHOIX POUR MADAME INAYATI SIDI ?
À peine les élections législatives de 2025 achevées, lesquelles ont marqué une ascension fulgurante du parti au pouvoir, l’Assemblée nationale affiche désormais une majorité écrasante en faveur du parti CRC. Ce succès s’est notamment traduit par l’élection de plusieurs membres de l’actuel gouvernement, parmi lesquels figurent aussi bien des ministres en exercice que des secrétaires d’État.
Dernièrement, plusieurs de ces ministres élus députés dans leurs circonscriptions respectives ont adressé à l’institution parlementaire des lettres faisant état de leur empêchement à siéger, au motif qu’ils occupent déjà des fonctions ministérielles. Ce geste, bien qu’il ne constitue en rien une violation des dispositions en vigueur, manifeste clairement leur volonté de faire siéger leurs suppléants à l’Assemblée nationale de l’Union des Comores. Cette démarche a suscité de nombreux commentaires, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans la presse nationale, certains y voyant un indice d’un possible remaniement gouvernemental à venir, orchestré par le président Azali Assoumani, qui entretient le flou à ce sujet.
Mais l’attention se porte aujourd’hui sur une affaire plus délicate, celle du décès de M. Abdou Moussa, suppléant de la ministre de la Jeunesse, de l’Emploi, du Travail, des Sports, des Arts et de la Culture, Mme Inayati Sidi, récemment élue députée dans la circonscription de Ouani 1.
Cette situation soulève une question de droit qui mérite d’être traitée avec le plus grand sérieux. En effet, Mme Inayati Sidi avait indiqué être empêchée de siéger, invoquant ses responsabilités ministérielles actuelles. Cela impliquait de manière tacite que son suppléant, M. Abdou Moussa, devait prendre sa place au Parlement, une solution jusque-là admise et ne suscitant aucun litige. Or, le décès de ce dernier à l’hôpital El Maarouf relance le débat, à la fois sur le plan juridique et politique, quant aux conséquences de cette vacance inattendue
Il convient de rappeler que, selon le principe généralement admis, lorsqu’un député élu se trouve dans l’impossibilité d’exercer son mandat, c’est à son suppléant qu’il revient de siéger en son lieu et place. Toutefois, la Constitution comorienne demeure relativement discrète sur les modalités précises de ce mécanisme de suppléance. En effet, bien que le chapitre II de la Constitution, consacré au pouvoir législatif, aborde la question dans son article 76, celui-ci se limite à établir une légitimité constitutionnelle en précisant qu’une loi organique fixe le régime des inéligibilités et des incompatibilités.
C’est donc vers cette loi organique, notamment sa section 3 relative aux incompatibilités, qu’il convient de se tourner pour mieux cerner les implications juridiques de cette situation. Mme Inayati Sidi ayant formellement notifié son empêchement afin de continuer à servir au sein du gouvernement, la lecture combinée des articles 15 et 16 de la loi organique n°23-004/AU s’avère déterminante. L’article 15 dispose que « l’incompatibilité entre le mandat de député et les fonctions de membre du gouvernement prend effet à compter de la prise de fonction ministérielle ». Quant à l’article 16, il ajoute que « le député qui, après son élection, se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité visés par la présente loi, est démis des fonctions ou du mandat incompatible avec son statut ».
Ces dispositions traduisent sans ambiguïté la volonté du législateur de préserver l’intégrité institutionnelle en cas de conflit de fonctions. La disparition de M. Abdou Moussa, appelé à siéger en tant que suppléant, place ainsi le législateur face à un cas de vacance dont la gestion est clairement encadrée par la loi.
À cet égard, l’article 25 du chapitre V de cette même loi organique apporte une réponse limpide aux interrogations juridiques soulevées. Il précise que la vacance d’un siège – qu’elle résulte d’un décès, d’une démission ou d’une nomination à une autre fonction – entraîne, dans un délai de dix jours, l’appel du suppléant par le président de l’Assemblée nationale afin qu’il occupe le siège devenu vacant. Ce mécanisme de remplacement, clair et sans équivoque, devrait suffire à apaiser les débats parfois teintés de spéculations infondées.
La loi prévoit également, dans un souci de souplesse institutionnelle, la possibilité pour un député de réintégrer son siège par simple courrier adressé au président de l’Assemblée de l’Union. Cette disposition, en clôturant toute forme de polémique, consacre la primauté du droit sur les interprétations subjectives et souligne la clarté du cadre juridique établi.
La question soulevée a donné lieu à deux lectures divergentes, portées notamment par Mohamed Rafsandjani, docteur en droit public, et Dr Abdoul El Wahab Moussa Bacar, consultant à la présidence de la République et enseignant à l’Université des Comores. Ce dernier, en s’appuyant strictement sur les textes en vigueur, a apporté des éclaircissements juridiques qui tendent à apaiser les inquiétudes. À l’inverse, Mohamed Rafsandjani a élargi le champ de l’analyse en insistant sur la nécessité pour tout député d’avoir un suppléant, bien que cette précision n’ait pas directement trait à la question initialement posée. Il a exprimé, dans les colonnes du journal Alwatwan en date du 11 avril 2025, ses réserves quant à la légalité de la situation actuelle, laissant entendre qu’il serait périlleux de maintenir un tel vide institutionnel.
Selon Rafsandjani, l’absence de suppléant expose le fonctionnement parlementaire à des « empêchements » qui nécessiteraient de tout reprendre à la base, tandis qu’Abdoul El Wahab ne voit, pour sa part, aucun obstacle à ce que la ministre Inayati Sidi puisse siéger à l’Assemblée nationale, en l’absence de son suppléant, dès lors que ce dernier n’était pas encore appelé à exercer ses fonctions. Il considère que la suppléance ne devient effective qu’en cas d’empêchement durable ou définitif du député titulaire.
Toutefois, un consensus semble émerger sur un point fondamental : si Mme Inayati Sidi devait renoncer à siéger au Parlement, il appartiendrait alors aux autorités compétentes d’organiser des élections partielles afin de répondre aux exigences de représentation et aux impératifs institutionnels. C’est dans cet esprit que je me permets de rappeler, en toute objectivité, que le droit ne saurait être manipulé au gré des intérêts politiques ou personnels. Il ne doit en aucun cas être instrumentalisé. La ministre Inayati Sidi, si elle choisit de siéger à l’Assemblée nationale, sera alors tenue, conformément aux dispositions légales, de démissionner de ses fonctions ministérielles. À l’inverse, si elle opte pour le maintien au sein du gouvernement, l’organisation de nouvelles élections s’imposerait de facto.
Il est également utile de souligner qu’au-delà du débat juridique, certains discours relèvent davantage de considérations politiques. La question de la majorité parlementaire, notamment celle détenue par le parti CRC, n’est pas étrangère aux réticences de certains acteurs à convoquer des élections partielles. Dans un contexte où toute perte de siège pourrait fragiliser la domination du parti au pouvoir, certains opposants pourraient être tentés de transformer une problématique juridique en opportunité politique.
Mohamed Rafsandjani, pour sa part, est connu pour ses positions critiques vis-à-vis du régime en place. Fondateur du parti Ushé, il s’est notamment illustré par son opposition au décret présidentiel du 6 août 2024, portant réorganisation du Secrétariat général du gouvernement. Ce décret avait conduit à la nomination de M. Nour El Fath Azali en tant que secrétaire général du gouvernement, avec rang de coordonnateur de l’action gouvernementale. Rafsandjani avait alors dénoncé cette décision, allant jusqu’à assimiler cette fonction à celle de Premier ministre dans certaines de ses publications. Une interprétation à laquelle j’avais moi-même répondu dans un article publié dans Alwatwan le 9 août 2024, en précisant, conformément aux textes en vigueur, qu’aucune violation n’avait été commise et que le rôle du secrétaire général du gouvernement restait strictement administratif.
Ainsi, tandis que certains s’en tiennent à une lecture rigoureuse du droit, d’autres n’hésitent pas à politiser des questions qui devraient, avant tout, relever de l’analyse juridique. Là où Mohamed Abou El Wahab parle que questions de droit, Rafsandjani fait de la politique.
HOUDAIDJY SAID ALI
Juriste Publiciste et Internationaliste