L’Avenir diplomatique des Comores : entre Moscou et Paris

La plupart des États africains entretiennent des relations conflictuelles avec leur ancienne puissance coloniale, souvent en raison d’ingérences politiques ou de différends territoriaux. C’est notamment le cas des relations entre l’Union des Comores et la France, marquées par la question de l’île de Mayotte. Cette île, à la fois géographiquement et culturellement comorienne, a toujours été reconnue comme partie intégrante du territoire comorien par les Nations unies, qui ont réaffirmé la souveraineté de l’Union des Comores à plusieurs reprises. Pourtant, depuis 1975, Mayotte demeure sous domination française, en violation du principe d’intégrité territoriale. La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, refuse de se conformer au droit international et a même renforcé son emprise en faisant de Mayotte son 101 département d’outre-mer en 2011. Une décision vivement contestée par le gouvernement comorien, qui continue d’exiger la restitution de l’île, un cabotin atomique digne des manœuvres diplomatiques les plus cyniques.

Les échanges commerciaux entre la France et les Comores restent marqués par un déséquilibre structurel, bien qu’en légère diminution en 2022. L’excédent commercial en faveur de la France est passé de 41 millions d’euros en 2021 à 29 millions d’euros en 2022. Les exportations françaises vers les Comores, essentiellement composées de produits manufacturés, agroalimentaires, équipements mécaniques et matériels de transport, se sont établies à 33 millions d’euros. La France demeure le deuxième fournisseur des Comores, avec 10,6 % du marché, derrière les Émirats Arabes Unis. À l’inverse, les importations françaises en provenance des Comores ont chuté à 3,8 millions d’euros, principalement constituées de produits agro-industriels, notamment les huiles essentielles (girofle, ylang-ylang) et des produits agricoles, dont la baisse a été notable. La France reste néanmoins le deuxième client des Comores, absorbant 21,9 % de leurs exportations, derrière l’Inde, selon les données du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. C’est un effet de manches bien rodé, où la balance commerciale reste, à bien des égards, obérée par ce rapport de force historique.

Toutefois, un nouvel élément vient raviver les tensions. Il y a quelques jours, la France a exprimé sa volonté d’implanter une base navale à Mayotte, une annonce qui a suscité une vive réaction au sein du parlement comorien. Celui-ci n’a pas tardé à manifester son indignation, considérant cette initiative comme une provocation supplémentaire. La situation demeure incertaine, et les Comores se trouvent face à un dilemme : laisser faire, ce qui pourrait être interprété comme un abandon de leur revendication sur Mayotte, ou affirmer leur souveraineté en réagissant fermement à cette nouvelle tentative de consolidation de la présence française sur l’île, malgré l’importance des relations économiques entre les deux pays. D’un trait de plume, la France semble vouloir effacer des décennies de contentieux, mais les Comores ne cèderont pas facilement.

Moscou serait une opportunité ou un risque pour Moroni ?

Face à cette situation, l’Union des Comores semble se rapprocher davantage de Moscou. Déjà liées par des relations bilatérales, les deux nations envisagent désormais l’ouverture d’un consulat russe à Moroni, alors que jusqu’ici, la représentation diplomatique russe dans la région était basée à Antananarivo.

La question de Mayotte est redevenue un sujet central des discussions entre l’Union des Comores et la Russie. En témoigne la déclaration de Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, qui a qualifié jeudi le projet français d’implantation d’une base navale à Mayotte de « récidive des instincts néocoloniaux ». Moscou a critiqué la position française sur Mayotte, évoquant un non-respect des résolutions onusiennes. Cette déclaration a entraîné une réponse du ministre français des Outre-mer, Manuel Valls. Ce dernier y voit une stratégie visant à nuire aux intérêts de la France, mais cette posture shadokienne de la France ne semble plus aussi sûre qu’auparavant.

Cette nouvelle dynamique diplomatique place l’Union des Comores au cœur des enjeux géopolitiques et redessine sa politique étrangère, historiquement alignée sur celle de la France. Dès lors, il convient de s’interroger sur les conséquences d’un tel revirement. Un rapprochement avec la Russie pourrait inciter Paris à prendre ses distances vis-à-vis des Comores, d’autant que la France figure parmi les principales nations opposées à la politique du gouvernement de Vladimir Poutine. Depuis plus de trois ans, elle s’efforce d’isoler la Russie en mettant en place un dispositif de gel des fonds russes, en imposant des sanctions économiques sévères et en appelant la communauté internationale à condamner l’invasion de l’Ukraine. Mais dans ce contexte géopolitique, être plus royaliste que le roi n’est plus de mise. La France doit s’adapter aux réalités nouvelles qui se dessinent.

L’Union des Comores se retrouve ainsi au centre d’une rivalité entre deux grandes puissances. Dans un contexte où plusieurs États africains adoptent des positions plus autonomes et exigent le départ des forces françaises de leur territoire, la posture comorienne pourrait être saluée par bon nombre de nations du continent. Beaucoup d’entre elles renforcent actuellement leurs liens avec la Russie, notamment dans le cadre de partenariats militaires et économiques. Ce fenêtre d’Everton qu’offre Moscou pourrait permettre aux Comores de redessiner les contours de leur diplomatie.

L’océan Indien constitue une voie stratégique pour le commerce international. Une présence militaire russe aux Comores, si Moroni venait à solliciter une protection militaire, pourrait considérablement fragiliser les intérêts économiques français dans la région. Dans un monde où les équilibres internationaux sont en pleine recomposition, il serait judicieux pour l’Union des Comores de ne pas se limiter à ses partenaires historiques, mais d’adopter une diplomatie fondée sur des relations diversifiées et mutuellement bénéfiques. À l’instar des pays du Sahel et de plusieurs États arabes, il est essentiel de privilégier une politique souverainiste, affranchie de toute ingérence occidentale. Les Comores ont tout à gagner à diversifier leurs alliances. Un partenariat renforcé avec la Russie pourrait leur ouvrir de nouveaux débouchés économiques, notamment pour l’exportation de leurs produits agricoles et de leurs huiles essentielles. Moscou pourrait également apporter un soutien au développement des infrastructures et à la sécurité, en particulier dans la lutte contre la piraterie. Sur le plan énergétique, une coopération russo-comorienne permettrait d’améliorer l’indépendance énergétique de l’archipel.

La Russie pourrait constituer un précieux allié diplomatique sur la scène internationale, notamment en soutenant les Comores dans le dossier de Mayotte. Si l’État comorien se montre ambitieux, il pourrait renforcer sa sécurité militaire et affirmer sa souveraineté, contribuant ainsi à la consolidation de son intégrité territoriale à l’avenir. Un impetus diplomatique, mais non sans risques.

Les Comores, un pion dans la géopolitique mondiale

Une  telle orientation diplomatique pourrait conduire à un isolement sur la scène internationale. La France et ses alliés, en particulier les nations occidentales, pourraient considérer l’Union des Comores comme une menace, ce qui compromettrait ses relations avec certains États ainsi qu’avec diverses organisations internationales. Par ailleurs, le risque d’une instrumentalisation des Comores au sein des dynamiques géopolitiques mondiales ne saurait être sous-estimé.

Les répercussions négatives pour les Comores pourraient être significatives. Cette nouvelle donne diplomatique risquerait d’affecter l’aide occidentale, notamment celle de l’Union européenne, ainsi  que les aides et prêts accordés par les institutions de Bretton Woods, telles que le FMI et la Banque mondiale, un facteur susceptible d’affecter les fluctuations monétaires, puisqu’elles continuent d’influencer les politiques économiques mondiales.

Par ailleurs, elle pourrait contribuer à l’émergence d’une nouvelle guerre froide dans l’océan Indien. En effet, bien qu’un affrontement direct entre la Russie et la France en Europe semble peu probable, l’histoire nous rappelle que ces puissances ont souvent mené leurs rivalités par pays interposés. Ainsi, cette alliance pourrait inciter d’autres États à prendre position, soit en faveur de la Russie, soit en adoptant une posture défensive, s’ils perçoivent cette coopération russo-comorienne comme une menace. Il est également probable que les îles voisines ajustent leur stratégie en matière de défense et de sécurité maritime, ce qui pourrait générer des tensions régionales.

Cela étant, les Comores n’ont guère à perdre dans cette reconfiguration diplomatique. L’Occident n’exerce plus un monopole absolu sur l’économie mondiale, et de nombreuses opportunités existent en dehors du cadre traditionnel des alliances. L’Union des Comores doit explorer de nouveaux partenariats avec des pays émergents tels que le Brésil, l’Argentine, le Mexique ou encore certaines puissances asiatiques, dont l’essor économique pourrait en faire des alliés stratégiques de premier plan. Cette démarche illustre une diplomatie plus proactive adoptée ces dernières années par l’Union des Comores.

Par ailleurs, la Russie dispose des moyens nécessaires pour soutenir Moroni dans sa revendication de Mayotte. Longtemps cantonnée à une diplomatie passive, fondée sur le strict respect du droit international, l’Union des Comores semble désormais vouloir inscrire son action dans une logique géopolitique plus affirmée. Or, dans un contexte de tensions croissantes entre l’Occident et la Russie, le pays risque de devenir un théâtre d’affrontement indirect entre grandes puissances.

Dès lors, une question essentielle se pose : ce revirement diplomatique constitue-t-il une réponse au projet français sur Mayotte, ou traduit-il une volonté plus large d’élargir les relations bilatérales entre l’Union des Comores et la Fédération de Russie ? Un enjeu crucial, bien au-delà des oukazes diplomatiques de part et d’autre.

Vers une diplomatie souveraine et équilibré

Dans ce contexte, il est souhaitable que l’Union des Comores puisse tirer profit de sa coopération avec la Fédération de Russie sans pour autant devenir un simple pion dans le jeu géopolitique des grandes puissances. D’autant plus que le pays entretient également des relations diplomatiques avec la Chine. Cette cohabitation devrait être orientée vers des partenariats fructueux et équilibrés, évitant tout alignement excessif. Nous ne souhaitons pas la guerre, nous combattons le néocolonialisme, mais s’il existe un moyen d’y parvenir sans effusion de sang ni recours à des armes destructrices, alors cette voie serait la plus noble et la plus juste. Il n’est pas question de sacrifier des vies humaines, car ce ne sont pas nos valeurs.

J’espère sincèrement que les relations entre l’Union des Comores et la Russie contribueront à l’instauration d’une paix durable dans l’océan Indien. Que cette dynamique ne conduise pas à des divisions internes et que l’intégrité de notre nation soit préservée. Puisse Dieu protéger notre pays, empêcher les impérialistes de réaliser leur rêve de domination par la division, et améliorer les conditions de vie de tous les Comoriens, qu’ils soient de la Grande Comore, d’Anjouan, de Mohéli ou de Mayotte.

HOUDAIDJY SAID ALI

Juriste Publiciste et Internationaliste

Paris – France

 

Retour à l'accueil