COMORES : LORSQUE LE POUVOIR DEVIENT UNE ADORATION DE L’OMBRE

 

Au cœur de l’océan Indien, les Comores ne sont pas seulement un archipel de volcans et de traditions, mais aussi un miroir d’un monde politique en mutation ou plutôt en dérive. Depuis leur indépendance le 6 juillet 1975, les Comores ont connu des régimes fragiles, des transitions tumultueuses et des chefs d’État aux fortunes diverses. Mais jamais, dans cette trajectoire tourmentée, un président n’aura autant assumé l’ombre, ni autant invoqué la nuit, c’est-à-dire, déclarer ouvertement qu’il est adepte à la sorcellerie, que le colonel Azali Assoumani. Car depuis son retour au pouvoir, ce n’est plus seulement par les armes qu’il gouverne, mais aussi par les arcanes : sorcellerie, grigris, astrologie politique, amulettes invisibles mais omniprésentes. Ce que beaucoup pensaient reléguer aux marges du folklore semble désormais structurer la verticalité du pouvoir comorien. Et cela, plus qu’une curiosité, devrait inquiéter.

« Des terres empoisonnées par les rites : quand la géographie elle-même souffre »

Dans de nombreuses villes et villages des Comores, quelque chose s’est brisée. L’air y est lourd, l’atmosphère figée, les regards fuyants. Ce ne sont pas simplement les effets de la pauvreté ou de l’abandon. C’est plus profond. C’est comme si la terre elle-même était souillée, comme si elle refusait de respirer. Car depuis l’installation du pouvoir fitnocratique en place aux Comores, depuis 2016 plus précisément, des pratiques occultes s’y enracinent. Sorcellerie enfouie dans les sols, grigris enterrés aux carrefours, sacrifices cachés dans la nuit. Les sacrifices humains. On n’en parle plus. On les met de côté. Non parce qu’ils n’existent pas, mais parce qu’ils dérangent trop. Parce qu’ils révèlent ce que personne n’ose affronter : une dérive spirituelle qui a contaminé l’espace, jusqu’à étouffer les vivants. Les Comores, îles de beauté et de lumière, deviennent alors des territoires hantés. Non pas par les ancêtres, mais par les ambitions dévorantes d’un pouvoir prêt à tout. Même à souiller la terre. Même à étouffer les villages.

« Une parole politique sous emprise mystique »

Azali ne cache rien. À Dakar, à Paris, il évoque la sorcellerie comme d’autres parleraient de diplomatie ou de développement. Le plus saisissant, c’est que cette dérive ne se fait pas dans l’ombre. Elle ne se cache pas. Elle ne se dérobe pas derrière les discours convenus de la modernité ou du développement. C’est Azali lui-même qui l’évoque. C’est lui qui affirme, au vu et au su des médias, qu’il pratique ou croit à la sorcellerie. Ce qui, ailleurs, susciterait gêne ou satire, devient chez lui posture assumée, presque doctrine d’État. Le président ne dirige pas seulement en homme de pouvoir, mais en adepte. Il n’est plus le garant des institutions républicaines, mais le prêtre d’un ordre invisible, animé par des forces occultes et conseillé, dit-on, par des sorciers et des marabouts que nul ne voit, mais que tous redoutent. Cette théâtralisation du mystique dans l’espace public n’est pas innocente. Elle remplit un vide : celui laissé par une gouvernance en faillite, par une économie asphyxiée, par une jeunesse désorientée. Là où le politique échoue, le magique s’impose. Là où l’on ne convainc plus, on fascine. On ensorcelle.

« Le sacré détourné, l’islam instrumentalisé »

Mais ce pouvoir occulte ne se contente pas de flotter dans les marges. Il pénètre jusqu’au cœur de la foi. Car dans un pays à 98 % musulman, la manipulation du religieux devient un outil de domination. Des rumeurs persistantes évoquent des pressions exercées sur les ulémas pour justifier certaines décisions politiques, même les plus absurdes, comme la modification déguisée des horaires de travail dans le but de déplacer subtilement l’heure de la prière du vendredi. Ce qui pourrait sembler anodin est, en réalité, une rupture profonde. Car toucher à l’organisation du culte, c’est bouleverser l’ordre symbolique. C’est injecter l’arbitraire là où doit régner la rigueur divine. Le pouvoir ne se contente plus d’administrer : il réforme le temps, il dicte les heures sacrées, il se glisse entre Dieu et les fidèles. Et ceux qui devraient être les gardiens de la vérité, certains religieux, se taisent ou pire, accompagnent cette dérive au nom d’une paix feinte, d’un compromis qu’ils savent pourtant insoutenable.

« Une gouvernance fondée sur la peur métaphysique »

Là où la politique échoue à convaincre, la sorcellerie vient compléter. Les prisons ne suffisent plus : on fait planer la malédiction. Les balles ne dissuadent plus : on brandit les grigris. Un régime qui a perdu la confiance du peuple cherche dans les ténèbres ce qu’il ne peut plus obtenir dans la lumière : la soumission. Cette stratégie est terriblement efficace. Car la peur métaphysique est plus profonde que la peur physique. On peut défier un dictateur, mais comment affronter un sort ? On peut marcher contre un régime, mais comment protester contre une malédiction ? Le peuple, alors, se replie. Il murmure. Il prie à voix basse. Il attend. Ce qui se passe aux Comores ne peut plus être qualifié de simple mauvaise gouvernance. Il s’agit d’un démantèlement total. Une entreprise de destruction systématique des fondations mêmes qui permettent à une société de vivre, d’espérer, de se projeter. L’économie est à genoux. Le système de santé n’offre plus que des vestiges de soins. L’éducation est devenue une formalité sans avenir pour des milliers de jeunes sans espoir. L’énergie est instable, intermittente, symbole d’un pays plongé dans l’obscurité au propre comme au figuré. La politique n’est plus un espace de débat, mais un monologue violent.

« Le pouvoir comme possession »

La religion est instrumentalisée, et la culture étouffée. En somme, les valeurs du pays ont été renversées, une à une. Non pour être remplacées par un autre projet de société, mais pour être offertes, livrées, au profit d’un seul clan. Une famille, fermée sur elle-même et ses sujets, qui ne représente personne, qui ne porte aucune vision, mais qui s’accroche au pouvoir comme à un héritage, un droit divin. Le pouvoir est désormais une affaire domestique, un bien privé, transmis de père en fils, de salon en bureau, de chambre à conseil des ministres. La gouvernance se fait dans le foyer familial avec deux conseils de ministre, l’un le mercredi et le deuxième un conseil de ministre nocturne et familiale qui balaie celui de la veille et pour les décisions. Et non dans les institutions publiques. C’est le retour d’un modèle archaïque, monarchique, qui méprise les principes de la République, et qui confisque à la nation son droit d’exister pour elle-même. Plus qu’un simple abus de pouvoir, ce que l’on observe aujourd’hui aux Comores est une forme de possession du pouvoir. Non pas un exercice politique, mais un envoûtement institutionnel. Azali n’est plus un président. Il est devenu l’autel sur lequel se joue un étrange rituel, dont les victimes sont les Comoriens eux-mêmes. Car derrière la mise en scène mystique, se cache une réalité brute : répression, confiscation des libertés, manipulation de la Constitution, économie sinistrée, jeunesse sans avenir.

Said Yassine Said Ahmed

COMORESplus

 

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