Le dixième Opus de Salim Ali Amir : une œuvre difficile et magnifique.
12 août 2011 J’ai acheté le dixième album de Salim dès sa sortie. Avant qu’il soit disponible à Lyon, il m’a fallu me le procurer au plus vite, et c’est par le truchement d’un ami qui allait à Marseille que j’ai pu l’avoir. Je dois dire que si l’Album coutait 100 euros sur le marché, je l’aurais payé pour l’avoir et surtout le conserver. La raison est simple, cet album a une particularité historique. Il me faut tenter de l’expliquer simplement. D’abord la difficulté. Un artiste de la stature de Salim n’a plus rien à démontrer, à la fois sur le plan textuel que sur sa surface musicale. Naturellement quand les premières informations sur la préparation de cet album me sont parvenues, légitimement une question m’est venue à l’esprit : comment va-t-il s’en sortir ?
Comment un homme qui ne souffre d’aucune critique négative de son œuvre et de son engagement, va-t-il avoir les ressources intellectuelles nécessaires et l’inspiration musicale adéquate pour ne pas pâlir sa réputation, après avoir tout fait et tout dit, en quelque sorte? C’était, vous m’avez compris, ma deuxième interrogation. Pour les mélomanes écouter du Salim, revient à s’offrir un pur moment épicurien où la musique rejoint le simple plaisir de l’esprit. Pour les musiciens comorais, tout nouvel album du Maestro de Studio1, ouvre inéluctablement un nouvel horizon, d’éducation musicale, de haute technicité artistique et, in fine, une grande leçon de la vie tout court. En somme une offrande descendue de l’olympe, le must des must, le versant contraire du toirab avec sa structure immuable et ses règles textuelles basiques.
Pour les fans, disons plutôt la grande majorité de la population des quatre îles, Salim est devenu si proche d’eux par sa musique, son discours social et sa personnalité, en sorte que toute nouvelle création est attendue comme la confirmation d’une certitude : celui d’être le meilleur parmi les meilleurs dans l’archipel des Comores. C’est une responsabilité énorme pour Salim mais en même temps une attente incommensurable à la fois pour son public et ses amis.
Quid du dixième album donc.
Ce dimanche de réunion du Groupe comorais de Lyon, Massiwa Jazz, arriva. Tout ceci, se passe à Lyon chez un des responsables associatif du groupe dans le 8ème arrondissement. On sort l’album pour une écoute collective. Dès les premiers accords, on a été ébloui par la tendance jazz rock du maestro : « Tsi tsehé » est un bijou d’harmonie musicale élevée en son niveau maximal. Sachant qu’allier mélodie majestueuse et phrasé harmonique à connotation jazzique est d’une complexité reconnue par tous grands artistes de la musique moderne. Tout de suite, les musiciens de Massiwa Jazz ont compris que Salim Ali Amir est débout et sûrement pour longtemps. L’écoute collective n’étant pas ma tasse de thé, à cause de cette impossibilité d’appréciation optimale du son, je me suis programmé un moment solitaire d’écoute. Ma méthode est simple : comme les yogis orientaux, je m’isole dans un endroit calme, le corps au repos, assis et détendu, la musique un chouia au-dessus de la sourdine, et hop, en avant pour une dégustation joyeuse de l’œuvre du meilleur mélodiste comorais de tous les temps. Dans un premier temps, je n’ai écouté que la musique de l’album en faisant totalement abstraction du contenu chanté pour mieux saisir le dernier « bébé » du maestro.
Un sentiment m’envahit ; comment l’exprimer clairement?
J’ai eu au fur et à mesure l’impression que le dixième album de Salim a un sens caché ; il donne l’illusion d’être un résumé musical des neufs albums précédents et en même temps il annonce une nouvelle période de l’œuvre du maitre. Un retour aux sources sans aucun doute? Pour autant, on dirait que l’album boucle un cycle sans toute fois le fermer entièrement. Les mélodies, les arrangements sont bien ficelés; le son, façon Salim est au rendez-vous. Cependant, en écoutant le troisième titre, on sent que Salim est entrain de cultiver un nouveau terrain :
- d’abord une introduction très longue avec un arrangement new style.
- ensuite un nouveau son qui apparaît.
Ce n’est pas un hasard. J’ai pensé au seul artiste à ma connaissance qui explore de telles sonorités : le gréco-américain Yanni. Si c’est donc ce que je pense, Salim s’apprêterait à faire un saut qualificatif de son œuvre. Je me disais que si cela est finalement le cas, ce serait une rupture avec la manière de faire la musique dans notre pays. C’est à ce moment d’interrogations multiples que je passe à la phase suivante, c'est-à-dire l’appréciation du message clamé par Salim.
Le premier titre en soi est une dissertation. Il faut l’écouter plusieurs fois pour en saisir le sens véritable. Une critique globale de la société politique des Comores d’aujourd’hui.
Le deuxième titre « De montsi », est une traversé romantique de notre héritage orientale. Juste après, le troisième titre vient affirmer avec force la dualité entre la femme bien aimée et la femme opprimée, une sorte de satire de la souffrance de la femme, dans une musique, dont l’introduction est en-soi un programme suffisant ; l’ensemble est un mariage réussi entre la guitare classique et le rythme traditionnel. Le quatrième titre « Sihé adabu yahaho », une adresse à la jeunesse, rappelle que Salim est d’abord et surtout un père de famille, et nous conte une morale civique dans un style de musique en vogue sur les pistes de danse actuellement. Un choix volontaire certainement, pour mieux se faire entendre par les jeunes de cette époque-ci, dans notre société. Le cinquième titre « Mtsi latsé owana » est un condensé des affres des divorces, et, ses conséquences sur les innocents victimes que sont souvent les enfants, ceci dans un arrangement piano dont la primauté de la voix et du contenu chanté est manifeste. « koko » est touchant par ce que le message est une ode personnelle de Salim à sa grand-mère.
Avec « La prison » on bascule dans une autre dimension : l’usage de deux langues, le comorais et le français. C’est un signe, d’abord, celui de la force de la fraternité chez les Ali Amir et ensuite l’amour partagé de l’écrit. Pour le dire autrement la prison est un poème d’un autre illustre Ali Amir, le monumental journaliste Ahmed Ali Amir, qui dans notre pays, joue avec Aboubacar Mchangama, le rôle conscient ou non de vigile de la probité et gardien de la démocratie. J’aime singulièrement ce texte et son accompagnement musical, qui évoque, pour moi, par transposition historique, les souffrances qui ont engendré le blues et le Jazz dans la Nouvelle- Orléans ; la beauté du texte, la conjonction avec les paroles de Salim rend l’ensemble sublime. Le huitième titre explore les facettes de l’ingratitude ; le maitre s’est amusé avec « Zo zadjé » joué dans une variante du « shigoma », avec quelques modulations à l’appui, tout est bon pour une consommation immodérée. Et pour finir, un bon medley cadencé mgodjo made in Studio1, reprenant les succès du maitre en la matière.
Finalement, cet album est le plus difficile, parce qu’il ne vient pas confirmer un talent déjà connu. Mais pour annoncer la fin d’un cycle. Il tient par la hauteur du message, par sa qualité musicale et sa capacité à contenter tous les gouts divers du public de Salim. Cet album est définitivement magnifique par ce qu’il annonce une bonne nouvelle : Salim Ali Amir reste le meilleur et comme je le disais ailleurs, « le maitre de Studio1 ouvre aujourd’hui les portes que les autres emprunteront demain. Et pour cela il n’a pas de pareil dans l’histoire du pays ».Procurez-vous le dixième album de Salim, c’est une histoire exceptionnelle, faites en sorte d’en faire partie.
Kamalidin Ben Ali
Lyon