LETTRE OUVERTE AU NOUVEAU GARDE DES SCEAUX DES COMORES PAR IBRAHIM MAHFIDH
26 juil. 2013Lettre au nouveau garde des sceaux de l’union des Comores
Réformer notre justice est nécessaire
Monsieur le Ministre de la justice, Garde des sceaux,
Notre justice inquiète au lieu de rassurer. Elle n’est souvent ni comprise ni même acceptée. Trop lente, trop compliquée, trop chère, dure avec les faibles et faible devant les puissants. Bref, une grande reforme est nécessaire. Votre prédécesseur avait tout pour la réussir. Il bénéficiait de l’effervescence de l’alternance et du soutien personnel du nouveau président. Une chance est passée. Une autre chance est-elle possible ? La tache est certes immense. Elle n’est pas impossible. Pour donner, enfin, à cette institution essentielle dans un pays, ses lettres de noblesses, trois objectifs devraient, à mon sens, guider votre action.
Une justice accessible et efficace
Ceci n’est un secret pour personne, la justice est sous-dotée dans notre pays. Votre premier souci devra être de doter enfin l’institution judiciaire de moyens nécessaires à son fonctionnement, pour apporter ainsi des améliorations concrètes à la justice du quotidien. La justice s’exerce derrière des portes closes. Alors qu’elle doit être scrutée par les citoyens, ses décisions commentées et amplifiées notamment par les médias. Il faut instaurer un service d’accueil et de guichet au sein des palais de justice afin de permettre à chacun d’accéder aisément à la justice. Le personnel doit disposer de toutes les technologies nouvelles et de bonnes conditions de travail. La création de salles d’audiences dont une avec une très grande capacité d’accueil dans chaque palais de justice accélérera le traitement des affaires. Cet arsenal logistique, une fois mis en place, permettra aux citoyens d’appréhender la justice avec une certaine sérénité. Il serait plus juste d’affecter une petite partie de la manne financière résultante de la « fameuse citoyenneté économique » à l’institution judiciaire. En matière civile, par exemple, les idées ne manquent pas : la reconnaissance de « l’action de groupe » qui a le mérite d’offrir tout simplement une nouvelle possibilité effective d’accéder à la justice me semble nécessaire. Les juridictions et le barreau doivent faire l’objet d’audits annuels d’efficacité et de déontologie. En matière pénitentiaire, c’est la transformation des prisons en école de la seconde chance et le développement des alternatives à l’incarcération. La réinsertion des détenus est le seul vrai moyen de lutter efficacement contre la récidive. Enfin, la mise en place d’un dispositif d’aide juridictionnelle pour que l’accès à une justice de qualité ne reste pas réservé à ceux qui ont les moyens.
Une justice indépendante et respectée
Nomination des magistrats plus ou moins proches du pouvoir, caporalisation du parquet…, il faut en finir avec cette conception d’un autre âge, celle d’une justice soumise et obéissante au pouvoir. Les comoriens attendent de la justice qu’elle soit impartiale, bien sûr, mais égale pour tous. Vous devrez prendre l’engagement solennel devant la représentation nationale de ne jamais donner d’instruction de nature à dévier le cours de la justice. Garant de son indépendance, vous devez lui garantir aussi le respect qui lui est dû. Favorable à l’émergence d’une institution judiciaire, digne de ce nom, le président de l’Union des Comores doit intervenir personnellement pour défendre, dans tous les sens du terme, la justice comorienne. Le président avait promis aux comoriens de faire de la corruption son cheval de bataille. Une telle promesse implique nécessairement l’accentuation de la lutte anti-corruption qui gagne de plus en plus du terrain. On assiste malheureusement à l’émergence d’une élite politico-bureaucratique qui continue de s’enrichir pendant que la grande majorité des populations ploie sous une misère endémique. Le contexte de corruption presque généralisée interpelle tout le pays et se pose comme l’un des principaux défis de gouvernance aux Comores. Dans la lutte contre la corruption, il n’ ya de place ni pour le cynisme ni pour le fatalisme. Pour être efficace, cette lutte doit être portée par toutes les catégories d’acteurs de la vie publique nationale et soutenue par une volonté politique au plus haut niveau. Les années suivent et la volonté affirmée des pouvoirs publics reste encore à l’état de déclarations d’intention ou de profession de foi. Pourtant du coté de la société civile et des medias, les efforts se sont multipliés dans la dénonciation de cas précis de corruption et de détournements mais les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire tardent à réagir avec toute la rigueur qu’imposent les faits. Le travail de notre justice n’a pas permis jusqu’ici d’aboutir à la sanction des auteurs présumés de pratiques corruptrices, surtout, lorsque les personnes suspectées sont des anciens ministres, proches du pouvoir en place ou bénéficient de protections des milieux politiques. Connaitrons un jour la vérité sur l’affaire dite « des pavions de complaisance » ?
Une justice sereine et apaisée
Prenez donc le temps nécessaire à une remise à plat globale, totale et générale de notre système pénal, sur la base du consensus et de concertation avec tous les corps concernés. Vous devez donc inscrire votre action dans une perspective globale de développement des droits des justiciables. Le juge qui est un décideur judiciaire doit être entouré d’une équipe aux compétences renforcées. Son intervention doit être articulée avec celle d’autres acteurs du monde judiciaire qui en sont, plus que jamais, les auxiliaires indispensables, avocats, greffiers et autres. Le traitement de certains contentieux nécessite de plus en plus souvent une haute technicité. Par conséquent la spécialisation des juges est indispensable pour garantir une justice de meilleure qualité. Ceci impose également que certaines juridictions soient spécialisées dans la connaissance de certains contentieux. Enfin, n’oubliez jamais que si le populisme est dangereux pour la démocratie, un populisme pénal se développe dans notre pays et il est le pire de tous. Il met en cause des principes aussi fondamentaux que la présomption d’innocence ou la liberté individuelle. Souvenez vous que la responsabilité des politiques, des journalistes est d’éclairer l’opinion publique plutôt que d’épouser ses emballements. Ces derniers temps, la blogosphère comorienne est envahit de profanateurs de vie privée, d’accusations injurieuses, de contenus et affirmations attentatoires à la dignité de certaines autorités, sans la moindre preuve et au grand mépris de la présomption d’innocence. Ceci est inacceptable et il faut y mettre de l’ordre et sanctionner, à l’occasion, et très sévèrement, les auteurs de ces profanations.
Je vous prie de croire, Monsieur le Garde des sceaux, à l’assurance de ma très haute considération.
IBRAHIM Mahafidh Eddine