COMORESplus : Mr Achirafi Saïd Hachim, vous êtes un des opposants fervents au pouvoir en place aux Comores. Un pouvoir qui souffre de manque d'adhésion de son peuple, de l'intérieur comme de l'extérieur. Que dites vous du climat actuel que traversent les Comores ?

Achirafi Said Hachim : Le pays a peur. La manière dont colonel Azali s’est emparé du pouvoir en mars 2019 alors qu’une opération électorale à laquelle il était lui même candidat était déjà en cours, les sévices et les brutalités qui en ont suivi ont créé un trouble effrayant au sein du peuple. Cela a jeté le pays dans une sorte de désespérance. Un climat de délation s'est instauré à place de la quiétude, du respect et de l’amour qui naturellement  commandaient le quotidien  du peuple. Notre pays est donc à la dérive avec un pouvoir autocratique souffrant de légitimité et une opposition certes majoritaire mais souffrant hélas d’initiative à la fois concertée et unitaire.

C.P : Six ans se sont écoulés. Ce que vous aimez appeler tyrannie continue toujours son chemin. Ne pensez-vous pas qu'elle tire sa force du laxisme ou du manque d'effort de l'opposition ?

A.S.H : Vous avez dit tyrannie. En connaissez vous une qui n’ait pas malheureusement duré à cause de l’exercice de la terreur et qui n’ait pas commis les forfaitures les plus abjectes à son peuple en l’intimidant, en lui privant arbitrairement de tous ses droits les plus inaliénables et en le maintenant dans le pire des obscurantismes ? La nôtre c’est-à-dire celle qui sévit depuis plus de trois ans dans notre pays, fait partie du lot et cela face à une opposition bien clairvoyante mais dont la plupart des leaders croupissent en prison et les autres sur le chemin de l’exil. 

C.P : Comment expliquez-vous l'absence de l'opposition au dialogue national tenu le mois de février dernier ?

A.S.H : L’opposition n’a pas pris part au dialogue car elle n’a pas du tout été associée à la moindre concertation tant pour le choix des thèmes nécessaires et indispensables devant en faire l’objet que pour celui du coordonnateur en charge du bon déroulement et de la transparence du dialogue. Le pouvoir du Colonel a décidé seul de ce qui sera dit et de celui qui le fera dire et en adopter les conclusions. Comment une opposition qui se veut à la fois digne et respectueuse, qui a vu ses exigences écartées et mises à la poubelle, notamment les strict respect des normes démocratiques et d’une justice équitable et indépendante accepterait elle de se jeter dans cet obscur fleuve dans les profondeurs duquel le pouvoir dictatorial pensait la faire noyer ? Même si celui-ci, s’enorgueillit, il bénéficiait bien curieusement de l’aval de la France et donc de la communauté internationale. En pareille situation, il eut mieux valu le laisser le DUTCHE seul dans son pitoyable monologue poursuivre avec son coordonnateur en chef leur œuvre d’humiliation du peuple comorien et du mépris du droit et de la démocratie.

C.P : Certains disent que cette absence est un boulevard que l'opposition et la société civile ont ouvert au pouvoir. Confirmez cette thèse ?

A.S.H : Je pense que refuser de cautionner une telle mascarade est pour ce qui concerne l’opposition une grande marque de vigilance  et de clairvoyance. Autrement dit au lieu d’ouvrir un boulevard à la dictature, on l’a laissée seule dans son sillon, sourde et aveugle, poursuivre sa fuite en avant de s’écraser lourdement la tête contre le mur de la résistance de l’opposition unie et de notre noble et courageuse diaspora.

C.P : Tout le monde et même certains qui sont au pouvoir trouvent que le pays va mal. A chaque lever du soleil le pire se dessine. Que pensez-vous de ce climat. Et quelles en sont les solutions ?

A.S.H : Le pays plonge dans une frayeur car jamais il a vécu une pareille gouvernance même au triste temps des affreux au cours duquel Bob Denard intimidait, torturait et tuait notre peuple. Il n’est pas question ici de préférer une terreur à une autre ou plutôt un colonel français à un colonel comorien dont les pratiques et les ambitions sont identiques, c’est-à- dire sans foi ni loi ni âme. Toutefois on peut admettre que Bob Denard n’a jamais promené le cadavre d’une de ses victimes sur le toit d’un véhicule de l’armée au mépris de toute décence. En même temps qu’il torturait et tuait, il rendait tout de même le corps de ses victimes aux pauvres parents. Le pouvoir du colonel Azali a battu le record sur l’irrespect des droits humains par rapport aux affreux. En témoigne la manière dont il a fait torturer, assassiner et enfoui sous terre et sans mot dire le lieutenant feu, Hakim Said dit Bapalé à Mirontsi. Oui le pays vit mal et semble perdre tout espoir du lendemain et ce d’autant plus qu’une grande puissance comme la France, notre ancienne puissance de tutelle et berceau des droits de l’homme s’en accommode et s’acoquine avec ce vilain dictateur. J’avoue que ce n’est pas glorieux.

C.P : Trois ans des manifestations dominicales sans cesse contre le pouvoir d'Azali. Comment les qualifiez-vous ? Réussite ou échec ?

A.S.H : Les manifestations de la diaspora, notre diaspora, prouvent si besoin en est, son attachement à son pays d’origine, celui de ses ancêtres, de ses parents. Son soulèvement, comme un seul homme, partout dans les grandes villes de France et d’Afrique, traduit son dégoût, son rejet de l’autoritarisme de toute forme de dictature. C’est une résistance face au mal, à Satan et surtout à l’entêtement aveugle d’un pouvoir illégitime qui viole les libertés fondamentales et assombrit chaque jour que Dieu fait l’espoir de tout un peuple. Il est vrai que cela dure, qu’on commence à compter le nombre des années mais tant que le mal perdurera la résistance ne désenflera pas. Bien au contraire elle s’intensifiera et prendra des formes de plus en plus conquérantes. C’est donc une persévérance dans l’effort  au lieu d’un échec. Et si échec il y a c’est plutôt du côté de la dictature qui est à bout de souffle et qui commence à voir ses multiples soutiens, se désintégrer notamment au sein de l’armée et même entre membres du gouvernement et dans la haute administration qui s’épient déjà et qui se cherchent sans espoir une porte de sortie. Le pouvoir s’émiette et la victoire de la résistance aussi bien intérieure qu’extérieure pointe à l’horizon 2022. Le rêve de 2024 à 2030 de la dictature est déjà brisé. Elle vit dans le doute et le sauvé qui peut.

C.P : Nombreux sont ceux qui reprochent à l'opposition sa dispersion. En avez-vous une explication ?

A.S.H : Effectivement l’opposition même si elle résiste, elle agit hélas de manière dispersée. J’en conviens. Heureusement ces derniers temps la lucidité et la clairvoyance commencent à emmarger et l’idée d’un grand rassemblement pour une force unique et décisive anime les esprits et devient un leitmotiv. J’en prends pour preuve les différents appels à l’union lancés par le Président du Cnt Mouigni Baraka, Abbas Mohamed Dahani du Comred qui viennent s’ajouter aux appels incessants du Front Commun présidé par l’ancien vice président Mohamed Ali Soilihi. Puissent ces différents leaders comme ils le disent chacun de son côté placer l’intérêt général au-dessus de tout et œuvrer ensemble et bien rapidement pour le SALUT PUBLIC dont le pays a grandement besoin.

C.P : Quatre ans depuis que l'ancien chef d'état Ahmed Abdallah Sambi est enfermé sans justice dans  des conditions inhumaines. Pourriez-vous décrire en quelques mots cette injustice ?

A.S.H : Je dirais tout simplement que le Président Sambi est victime d’un arbitraire sans précédent. Rien ne peut justifier son maintien en détention pendant quatre ans sans jugement. C’est une atteinte fondamentale au droit et au simple bon sens. C’est plus qu’une mesure politique que judiciaire et ça ressemble à la loi du plus fort et donc à la loi de la jungle.

C.P : Qu'envisagez-vous de faire si le pouvoir dure jusqu'en 2024 ?

A.S.H : Nous ne souhaitons pas aller jusqu’en 2024 avant une nouvelle concertation. C’est-à-dire un réel dialogue, inclusif et transparent, qui permettra d’évoquer tous les maux qui rongent l’âme populaire de notre pays et dont ce pouvoir illégitime et dictatorial est seul  responsable.

C.P : Achirafi Said Hachim, merci.

A.S.H : Je vous remercie de même, surtout pour cette interview.

Propos recueillis par Said Yassine Said Ahmed

COMORESplus.

Retour à l'accueil