574879_521850781200783_1895744398_n-1-.jpgMahmoud Ibrahime, enseignant depuis 1996, est titulaire d’un doctorat en histoire  obtenu en 2004. Fondateur de la revue Tarehi qui traite de l’histoire des Comores en 2001, il a été également co-fondateur des éditions KomEdit la même année, avant de fonder les Éditions Cœlacanthe. Il est l’auteur du « Manuel d’histoire 6e-5e » qui introduit pour la première fois l’histoire nationale dans l’enseignement. Il a contribué à de nombreux ouvrages avec des chercheurs nationaux et internationaux. Mahamoud IBRAHIM est l’auteur de plusieurs articles et de trois ouvrages fondamentaux sur l’histoire contemporaine des Comores :

-État français et colons aux Comores (1912-1946), L’Harmattan,  l’Harmattan, 1997.

-La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), L’Harmattan, 2000.

-Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d’un conservateur, KomEdit, 2008.

Enfin, il a été correspondant du journal Al-Watwan des Comores à Mayotte. Il est correspondant de La Gazette des Comores et de la revue L’Année francophone Internationale depuis 2006.

COMORESplus : Vous êtes le rédacteur d’un ouvrage d’histoire pour les classes de 6° et 5°, où en est-on pour ce qui est de l’usage de ce manuel par les collèges comoriens ?

Mahmoud Ibrahim : Le manuel est prêt depuis janvier 2011, il a été auparavant validé à plusieurs reprises par des fonctionnaires du Ministère de l’Education nationale, par des inspecteurs, des conseillers pédagogiques, des professeurs de l’Université et du secondaire. Le Ministre de l’Education, Mohamed Issimaïla a signé le 31 décembre 2012 l’arrêté qui l’officialise et le rend obligatoire dans tous les collèges du pays. Il reste maintenant à trouver les financements pour faire en sorte qu’il soit disponible pour la rentrée 2013. Donc, soit l’Etat et les Iles décident de le financer pour tous les élèves comoriens, soit les parents l’achèteront pour leurs enfants.

CP : Vous êtes le fondateur de la revue Tarehi. Pourriez-vous nous dire ce qui vous a poussé à créer  cette revue ainsi que les raisons de son absence prolongée aujourd’hui ?

M.I :La revue Tarehi est née du constat qu’il y avait des recherches en histoire, que des archives étaient là et qu’on pouvait les rendre accessibles à un plus large public et ainsi contribuer à combattre cette tendance à prendre les « hari-hari » entendus dans les familles pour l’Histoire du pays. Depuis quelques années la revue sort d’une manière épisodique, d’abord parce que j’ai fait un séjour de deux ans à Mayotte et que cela m’a coupé de ceux qui assuraient la rédaction. C’est un travail très lourd et les volontaires ne sont pas nombreux pour l’assumer. J’ai commencé l’aventure avec un archéologue, Ali Mohamed Gou, qui ne peut plus faire le même travail qu’avant. Mais c’est une question d’organisation et on devrait repartir avec une nouvelle équipe.

CP : Ces derniers temps on a assisté à des échanges un peu musclés entre Said Abasse Dahalane et vous-même à propos des mémoires du Président Djohar.  Pourquoi ce climat ?

M.I :Rien de grave. Après la sortie des mémoires du président Djohar j’ai posé des questions d’historiens qui n’ont pas plu à cet homme politique qui avait en charge leur publication et qui est habitué aux flagorneries de ses partisans. Dans un « droit de réponse », il a occulté les questions et le débat et a préféré me charger avec des qualifications peu reluisantes s’imaginant, sans doute, qu’il pouvait m’impressionner avec des insultes. Après avoir longuement hésité, j’ai été contraint de lui répondre d’une manière peu cavalière, je l’avoue, après avoir appris qu’un de ses partisans disait à Moroni que je devais être heureux qu’il ne m’ait pas « descendu » plus que cela. Au-delà de ces petits échanges, je dis depuis longtemps qu’il ne faut pas confondre la tradition orale ou les témoignages avec l’histoire. Et là, même des historiens comoriens se laissent prendre et sont contents d’eux ! C’est comme si je prenais une archive de l’administration coloniale et que je la publiais en disant que c’est la vérité. Nous devons avoir la même méfiance, la même interrogation et la même rigueur scientifique à l’égard des témoignages des acteurs qu’avec un document écrit de l’administration coloniale par exemple. Ce n’est pas parce que c’est le président Djohar qui témoigne que c’est la vérité. Et le peu de gens qui ont lu ces mémoires ont forcément vu qu’il y avait de nombreuses contre-vérités par rapport à ce que nous savons de l’histoire comorienne aujourd’hui. Il faut que ceux qui pensent depuis des années avoir la vérité historique se rendent compte que les temps ont changé et que des historiens font des recherches.

CP : On sait aussi que vous avez beaucoup de divergences avec le professeur Martin, auteur d’ouvrages de référence sur l’histoire comorienne. Quelles sont les raisons de cette dissemblance ?

M.I :Non, c’est une erreur. Au niveau de l’histoire, je n’ai pas beaucoup de divergences avec Jean Martin. Au contraire, les deux tomes qu’il a écrits sur l’histoire des Comores ont été un exemple de rigueur scientifique pour moi. D’ailleurs, j’ai commencé mes recherches en voulant poursuivre là où il s’est arrêté. Je crois qu’il faut être modeste dans nos recherches. Et pour cela, il faut commencer par remercier ceux qui nous ont précédés et qui nous ont ouvert des routes quelles que soient leurs origines ou surtout parce qu’ils ne sont pas Comoriens et qu’ils ont utilisé leur temps et leurs finances pour faire mieux connaître un pays qui n’est pas le leur. Je considère Martin comme un de ceux qui ont ouvert des routes pour l’histoire comorienne, à nous historiens comoriens de les continuer ou de tracer de nouvelles perspectives à partir de ce qui a déjà été fait. Mais, on ne le fera correctement qu’en commençant par les lire et les comprendre et pas en les rejetant à priori parce qu’ils sont blancs ou français, comme j’ai pu l’entendre, même de la part d’historiens comoriens. Par ailleurs, J. Martin a publié en 2010 un livre de commande, idéologiquement marqué dans la perspective de la départementalisation de Mayotte : « Histoire de Mayotte. Département français ». Il prétend que la nation comorienne n’existe pas et n’a jamais existé, il s’en prend aux Anjouanais qui sont à Mayotte en les accusant d’un tas de maux… Il est venu en parler à Mayotte. Je me suis levé, comme deux autres enseignants franco-comoriens, pour lui dire ce que j’en pensais. Ce n’était pas simple car nos supérieurs hiérarchiques étaient présents dans la salle, mais on ne pouvait pas laisser passer autant d’inepties. Ce n’est pas parce que J. Martin a écrit ce dernier livre qu’on doit jeter les deux monuments qu’il laisse à l’histoire des Comores (Comores : quatre îles entre pirates et planteurs, L’Harmattan, 1983). Donc, je suis vigilent sur l’histoire des Comores, mais, ne comptez pas sur moi pour ne pas reconnaître les mérites de chacun, surtout en prenant en compte des considérations aux relents xénophobes.

CP : Beaucoup de comoriens préfèrent confier la publication de leurs livres aux éditions cœlacanthe dont vous êtes le responsable. Pourquoi ce succès et comment cette édition choisit ses auteurs ?

M.I :En effet, nous recevons de nombreux manuscrits. Mais, je crois que c’est la même chose pour les Éditions KomEdit que dirige mon ami Chamanga. En réalité les deux structures sont financièrement dépassées. Nous n’avons pas, pour le moment, les moyens ni financiers ni humains pour publier tout ce qu’on nous envoie. Cœlacanthe a une forme associative. Il n’y a que des bénévoles. Nous sommes donc contraints de choisir à partir de divers critères que je ne développerai pas ici, mais qui prennent surtout en compte la qualité de l’écriture et le thème abordé.

CP : Vous avez beaucoup milité contre le séparatisme et pour l’intégrité du pays. Pensez-vous que ce problème est derrière nous ?

M.I :C’est par la lutte contre le séparatisme à partir de 1997 que j’ai commencé à m’intéresser aux questions politiques aux Comores. Quand certains pensent qu’il faudrait ne pas s’occuper de politique quand on fait de l’histoire, je me rappelais les propos de mes enseignants qui disaient que l’histoire n’a pas d’autres laboratoires que la vie et qu’il fallait qu’on s’engage dans les luttes sociales pour comprendre les événements historiques. Ma formation d’historien, je la dois donc autant à mes professeurs qu’à mes aînés et amis qui m’ont accueilli dans le combat contre le séparatisme : Chamanga, Abdallah Mirghane, Hassane Jaffar, Mohamed Nabhane, Isabelle Mohamed et tous les autres. Le séparatisme ne sera jamais derrière nous car nous sommes des îles. C’est une lutte permanente. Mais je trouve que la lutte que nous avons mené de 1997 à 2001, même si elle n’a pas abouti complètement à ce que nous voulions, elle a fourni des armes aux militants d’aujourd’hui. En effet, la constitution actuelle prévoit des mesures de rétorsion contre les séparatistes, ce que nous n’avions pas en 1997. Il est dommage que le combat mené actuellement ne prenne pas suffisamment en compte cette nouvelle donne. Mais, il faut avouer que pour aller devant le Conseil constitutionnel ou devant les juridictions il faut des moyens financiers.

CP : Vous étiez le rédacteur d’une déclaration signée par plusieurs personnalités contre les assises sur la diaspora comorienne organisées en novembre 2012 par le gouverneur de Ngazidja, pourquoi cette opposition ?

M.I :Parfois c’est énervant de voir dans un pays aussi pauvre autant d’argent mis dans des actions de prestige pour les dirigeants. C’était un cri de révolte. Nous avons eu raison de le faire car la suite nous a montré que ces assises n’ont rien apporté au jour d’aujourd’hui. Les organisateurs n’ont même pas diffusé un compte rendu ou annoncé des décisions. Ce n’est pas nouveau, nous avons réagi car certains d’entre nous avons maintenant l’habitude de ce genre d’opération et de leur finalité réelle au-delà des apparences.

CP : Que préconiseriez-vous pour une meilleure organisation de la diaspora comorienne en France ?

M.I :Je pense avoir fait partie de ceux qui se sont battus pour que la diaspora obtienne le droit de vote. Après l’obtention de ce droit, il faudrait que les gens s’organisent et se battent pour qu’il devienne effectif. Mais, la plupart des gens préfèrent se plaindre, comme si les plaintes suffisaient. Il faudrait plus de lobbying auprès des politiques, ce qui suppose que des plus jeunes prennent leurs responsabilités, au-delà de la critique permanente et souvent très sévère. Je regrette l’échec de la Diascom qui s’est dévoyée dans ses objectifs et je pense que nous serons obligés de revenir à une organisation générale des nombreuses associations comoriennes, même sous la forme d’une fédération. Il est de nouveau nécessaire de dépasser les frontières des villages et des îles pour que tous les Comoriens puissent se parler dans une même organisation plus large comme nous le faisions face au défi des séparatistes.

CP : Quelles sont vos impressions sur la politique actuelle des Comores ?

M.I : La politique menée par le gouvernement du président Ikililou actuellement est floue. On ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire, où il veut aller et cela dans tous les domaines. C’est dommage car le discours programme qu’il a proposé aux Comoriens était alléchant : lutte contre la corruption, réaffirmation plus nette de l’unité du pays, à travers une nouvelle politique s’agissant de Mayotte, importance accordée à l’éducation, réorganisation de la justice et de la presse. On aurait pu croire aussi qu’étant issu de l’île la plus petite et la plus pauvre, dans le passé souvent ignorée et même méprisée (il faut se l’avouer), on sentirait une action de l’Etat allant dans le sens d’un certain rééquilibrage au niveau économique et au niveau social, notamment pour l’éducation. Mais, il est difficile de lire tout cela dans la politique du gouvernement actuel. On nous annonce des succès économiques et financiers, on se demande qui en profite. Le fait de payer régulièrement les salaires aurait pu conduire le gouvernement à exiger un travail plus sérieux et plus régulier de ses fonctionnaires pourtant, partout, les contribuables se plaignent de l’inefficacité de l’administration et des sociétés d’État. Le gouvernement semble absent, du coup, ce sont des partisans, des lobbies, des opérateurs économiques peu scrupuleux, des « yezi yatru » qui agissent à sa place. Je ne m’étendrai pas dessus, les journaux en parlent suffisamment. Nos confrères d’Al-Watwan prenant les paroles du président à la lettre ont mené de vraies enquêtes montrant les fraudes et les endroits à partir desquels la corruption gangrène les institutions. Malheureusement, la réaction du gouvernement a été de retirer un des numéros du magazine Alwatwan qui dénonçait cette corruption dont le président a dit vouloir combattre. Du coup, il est légitime de se demander, d’une part, ce que veut le président Ikililou et d’autre part, si son discours-programme est encore d’actualité et surtout qui le porte ?

CP : Votre dernier mot ?

M.I :Mon dernier mot sera un encouragement pour COMORESplus qui se distingue des nombreux blogs comoriens en affichant clairement les noms des responsables et en assumant les écrits.

CP : Je vous remercie M. Mahmoud Ibrahime

M.I :Merci à vous.

Propos recueillis par ABDOU ELWAHAB MSA BACAR

COMORESplus

Retour à l'accueil